La-Cave-aux-Mots

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Eliacer CANSINO - Les enfants de Babel


Né en 1954, Eliacer Cansino enseigne la philosophie et la littérature dans le lycée d'une banlieue défavorisée de Séville depuis près de trente ans. Il a déjà publié de nombreux romans à destination de la jeunesse. "Les enfants de Babel" a été couronné par le VIème prix Anaya de littérature pour l'enfance et la jeunesse ainsi que par le prix national de littérature jeunesse du ministère de la culture. Il est publié en France par "L'école des loisirs".

Dans la banlieue de Séville se dresse la Tour : un immeuble qui accueille son cortège d'enfants défavorisés. Il y a Berta, la jeune et belle hispanique, qui fréquente le lycée d'Alfarache et vit avec sa mère Lucia, femme de ménage. Il y a Rachid, jeune marocain qui a fui son pays d'origine pour trouver refuge sous de meilleurs horizons : il a quitté le lycée et vit au jour le jour de petits trafics. Il y a Stéfano, son acolyte italien, qui, lorsqu'il ne tient pas la pizzéria familiale aux côtés de son père, verse lui aussi dans des affaires douteuses : magouilleur et manipulateur, il est secrètement amoureux de la belle Berta. Il y a enfin Nor, guinéen d'origine, lui aussi réfugié en Espagne par les voies de l'immigration clandestine : un élève brillant, qui, du jour au lendemain, cesse de fréquenter le lycée et disparaît tout bonnement de la Tour... Mais la Tour de Babel n'abrite pas que des enfants. Angel, la cinquantaine, professeur de philosophie au lycée du quartier, y vit depuis le décès de sa femme en homme solitaire et entièrement consacré à son devoir d'enseignant. Gil, vieil homme éminemment cultivé, anachorète des temps modernes doublé d'un fervent humaniste, y occupe un appartement tapissé de bibliothèques. Il a pris Nor sous sa coupe dès son arrivée sur le sol espagnol, lui apprenant la langue, le sensibilisant à la lecture, lui inculquant généreusement son savoir...
La disparition de Nor aurait pu rester sans suite si ce dernier n'avait pas adressé une lettre à Angel, son professeur, lui expliquant les raisons de son départ précipité : il est tenu d'aller à la rencontre de son jeune frère, lui-même fuyant la Guinée, qui doit amarrer clandestinement sur la côte espagnole dans les jours à venir... Dès lors, Angel, est tiraillé entre ses inclinaisons philanthropiques et sa crainte de braver les lois. Mais Angel est aussi un homme de parole. Et il ne peut se résoudre à abandonner Nor. Il mène donc son enquête pour tenter de retrouver sa trace. C'est ainsi qu'il sollicite les différents habitants de la Tour et dénoue progressivement le fil les reliant à Nor...

Difficile de ne pas se laisser porter par l'élan de ce roman au charme protéiforme. La plume de l'écrivain n'y est évidemment pas étrangère : fluide et généreuse, elle porte réellement la pâte d'un héritage espagnol, avec cette clarté particulière émanant de la langue et que l'on retrouve au détour d'autres grands écrivains hispaniques : Sebastian Gamboa, Roberto Bolano, Ignacio Del Valle, mais aussi Borges... Le roman gravite essentiellement autour du personnage d'Angel, prof de philo quinquagénaire qui vit seul, proche de ses élèves, avec pour unique passe-temps une passion pour les mécanismes d'horlogerie. Il mène une existence monotone, sans réel relief. Comme beaucoup d'autres habitants du quartier, il est en transit, sans véritables attaches, et le but qu'il se fixe de retrouver le jeune Nor va quelque peu chambouler son quotidien. Epaulé de Rachid l'intrépide, et entouré de quelques figures romanesques charismatiques (le vieux Gil en fait partie, comme le personnage d'El Chanca qui règne sur la décharge de la ville), il va se frotter à un sujet éminemment actuel : celui de l'immigration clandestine. De Nor, l'objet de sa quête, on ne sait pas grand-chose. Il a quitté la Guinée dans des circonstances obscures. Il a probablement perdu ses parents. C'est un adolescent intelligent et prometteur profondément attaché à son lien filial et ses racines. C'est donc tout naturellement qu'il abandonne la Tour et le lycée, qu'il laisse derrière lui sa nouvelle vie à Séville pour concrétiser l'espoir d'accueillir son jeune frère. Sous la plume de l'écrivain, chaque personnage, mis en scène avec justesse, se révèle attachant, chacun tributaire de son passé et de son lot de douleurs. Dans la banlieue de Séville, la vie n'est pas rose. Il faut se battre pour se faire une place et survivre. Tous les habitants de la Tour subissent, de près ou de loin, les conséquences de l'immigration. Ils forment une communauté hétéroclite et éclatée que la disparition du jeune Nor va rapprocher. Angel, au-delà de son habit d'aventurier tout récemment endossé, conserve la clairvoyance et la lucidité induites par sa profession. En professeur de philosophie, il n'est pas sans interroger le lecteur par le biais de citations ou d'aphorismes toujours bien choisis et que l'on se fait un plaisir de retenir : "On ne peut sans doute pas cesser d'être ce que l'on est. Quelqu'un a dit que le caractère est le destin.". Ou bien : "Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour.". En homme cultivé qui se respecte, il site "Ulysse" de Joyce comme José Hierro ou Kant. Il devient aussi l'illustration du devoir moral qui incombe à tout homme à un moment de sa vie... Face à une situation injuste, le choix nous est donné : observer ou agir. Et, par principe, Angel opte pour le second choix...

Roman félicité dans son pays de publication tant par la critique que par la réception du public, "Les enfants de Babel" réserve au lecteur un moment agréable d'évasion sans omettre de répondre à certaines interrogations fondamentales que tout homme, à un moment de sa vie, est amené à se poser. Roman pétri d'humanisme, à la prose chaleureuse et aux personnages attachants, il traite du sujet de l'immigration avec lucidité et justesse.

Pour un lectorat de tout âge.



25/05/2013
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