La-Cave-aux-Mots

La-Cave-aux-Mots

Philip K.DICK - Confession d'un barjo


Dans la bibliographie conséquente de Philip K. DICK, « Confessions d'un barjo » occupe une place de choix puisqu'il appartient à la petite dizaine de romans publiés hors-SF, sous l'étiquette de littérature « classique » ou « blanche ». Ecrit en 1959, le roman donne à découvrir une autre facette du talent protéiforme de l'écrivain américain : sa capacité à croquer avec une justesse imparable des personnages tirés du réel, au détour de dialogues savoureux et authentiques, de situations cocasses. Dès lors, K. DICK se glisse dans la peau d'un écrivain naturaliste, brodant un roman social dont la qualité première est de décortiquer avec une extrême acuité les liens unissant un petit cercle d'individus dans l'Amérique profonde des années 60. Les individus en question : Jack Isidore, jeune original d'une vingtaine d'années, célibataire, marginal dans sa conception personnelle qu'il se fait du monde et de la réalité. Un peu idiot, un peu naïf. Indiscutablement attachant. Sa saeur, Fay, femme de tempérament, mariée à Charley Hume, deux enfants. Le couple, vivant dans l'opulence grâce au salaire de Charley, s'est installé à Marin County dans la banlieue de Los Angeles et y coule une vie agréable dans la grande propriété qu'ils se sont faite construire mais qui leur coute une véritable fortune à entretenir. Enfin, les éléments perturbateurs : un couple de jeunes mariés venant tout juste d'emménager dans la petite localité : Nathan et Gwen Anteil. Nat travaille le matin dans une petite agence immobilière, et l'après-midi suit des cours par correspondance à l'université de Chicago en vue de décrocher une licence d'histoire pour devenir professeur. Des personnages bien campés : Fay Isidore se révèle une femme décisionnaire, émancipée, intelligente, mais aussi maladivement égoïste, manipulatrice, caractérielle, qui occupe au sein de la communauté de Marin County une place d'importance, puisqu'elle initie et conduit la plupart des activités culturelles de la ville. Son mari Charley Hume est un rustre au caractère bourru et autoritaire, directeur d'usine, pragmatique à en être borné, dénué de subtilité ou de toute sensibilité artistique. Entre les deux époux, l'entente n'est pas toujours au beau fixe, et le lecteur devine rapidement que sous le lustre du mariage, quelques failles galopent, lézardent l'édifice, et que Fay, au-delà de l'amour relatif qu'elle peut porter à son mari, lui reste attachée avant tout par intérêt matériel : Charley lui assure en effet un train de vie aisé, garant de sa liberté de femme affranchie et de son quotidien de petite bourgeoise... Aussi, les choses se compliquent-elles lorsque les Hume rencontrent les Anteil. Immédiatement, Fay tombe sous le charme de Nathan, jeune-homme élégant, raffiné, cultivé, avec qui elle peut étancher sa curiosité au gré de longues conversations... La passion, forcément, ne tarde pas à poindre pour exacerber les pulsions enfouies et mettre à nu les caractères. Jack Isidore, le frère de Fay, gracieusement hébergé à titre provisoire par sa saeur et sa petite famille, assiste en témoin passif au développement de cette liaison extraconjugale qui dénoue progressivement les liens du mariage et jette les protagonistes dans une jolie pagaille.

A bien des égards, « Confessions d'un Barjo » est à classer parmi les grands romans de DICK. La justesse imparable avec laquelle l'écrivain met en scène ses personnages, l'épaisseur qu'il parvient à leur insuffler, ne cessent jamais de surprendre. Chaque protagoniste sonne terriblement juste, réel. L'audace, ou en tout cas, l'originalité du parti-pris narratif et de la structure du roman n'y sont pas étrangères : DICK opte ici pour une alternance de points de vue. Jack et Fay s'expriment à la première personne ce qui permet au lecteur de se glisser au plus près de leurs pensées (point de vue interne), tandis que Nat Anteil et Charles Humes sont présentés à la troisième personne (point de vue externe). Ce télescopage de focalisations (distanciation / proximité) dynamise fortement le récit, et nous permet de profiter d'éclairages différents sur un même évènement. Il faut un certain brio pour tenir jusqu'à son terme un tel procédé narratif, et DICK s'en acquitte avec une aisance jamais prise en défaut. Autre qualité du roman, ses dialogues, là-encore pétris de justesse, plus vrais que nature, non dénués d'un humour et d'un cynisme ravageurs... Ils réservent au lecteur quelques moments de jubilation. Enfin, difficile de ne pas saluer la clairvoyance et la lucidité dont fait preuve l'écrivain pour décortiquer le comportement de ses personnages : même si chacun a une fâcheuse tendance à s'enfoncer un peu plus dans les problèmes dont il est l'instigateur en faisant fi de la raison, les réactions, les choix, les réflexions qui le poussent à agir de la sorte nous apparaissent fondamentalement humains. Et il est bien difficile de ne pas y souscrire...

Entre satire sociale et vaudeville, gravité et légèreté, fantaisie et roman de moeurs, DICK signe avec « Confession d'un Barjo » un roman attendrissant et dévoile un talent que l'on ne lui soupçonnait pas, bien loin de la galaxie SF à laquelle on le rattache spontanément.

Le plus barjo n'est pas toujours celui qu'on croit.



25/05/2013
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Littérature & Poésie pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 5 autres membres