La-Cave-aux-Mots

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William S. BURROUGHS - Junky


Premier roman de William S. BURROUGHS, écrivain phare de la beat génération, « Junky », au titre on ne peut plus explicite, nous plonge dans le quotidien d’un camé carburant aux cocktails les plus détonants (morphine, cocaïne, barbituriques…) et héroïnomane forcené. Rien ne nous est épargné : de la première « accroche » aux tentatives (infructueuses) de désintoxe, de l’orgasme du premier trip à l’enfer du sevrage, des premières incarcérations par des flics pas tout à fait irréprochables à l’expatriation au Mexique pour échapper à la justice américaine, BURROUGHS n’est pas avare de détails : et pour cause… Ancien accro lui-même, « Junky » recèle une bonne propension autobiographique, et l’écrivain sait parfaitement de quoi il parle… Le style peut surprendre le lecteur : il se révèle en effet insipide, sans relief ni profondeur, froid, dépersonnalisé, journalistique à en devenir clinique. Comme si William Lee, le narrateur, se plaçait dans le rôle d’un observateur de sa propre aliénation. Ce parti-pris de l’écrivain est à mettre sur le compte de son inclinaison factualiste : rapporter au lecteur les faits avec le plus parfait détachement, sans la moindre propension à l’émotion ou l’expansion. Il souligne aussi l’optique du narrateur : mettre à nu la vie d’un drogué dont l’unique but existentiel se résume à pouvoir se faire ses shoots au quotidien. En dehors de cet objectif viscéral – véritable dialectique de la dépendance – rien. Le néant. Aucune relation sociale réelle, aucun rapport aux autres, aucune envie, aucune projection dans l’avenir ou de retour sur le passé… Le camé vit dans un présent perpétuel. Il est totalement chevillé à la drogue, recroquevillé sur la nécessité de ses injections qui lui ouvrent les portes d’un paradis artificiel à côté duquel le réel n’est qu’une parenthèse pâlichonne. Il ne possède aucun autre horizon. Le roman est entièrement centré sur la satisfaction de combler ce manque, ce vide qui révèle évidement des failles bien plus profondes mais sur lesquelles jamais le narrateur n’ose mettre le doigt. Dès lors, pourquoi s’embarrasser d’élaboration stylistique ? L’écriture possède le caractère primaire du besoin irrépressible qui taraude le camé en quête de son fixe… Sur ce plan, un faussé sépare « Junky » et « Le festin Nu », second roman de l’écrivain qui démontre un tout autre appareil littéraire… Mais pour « Le festin nu », la visée narrative est autre : ne plus se concentrer sur les évènements et les faits, mais embrasser une approche plus intérieure, plus intime – donc plus hallucinée – des conséquences de la sujétion à la drogue. « Junky » recèle cependant une qualité notable : rarement un témoignage sur la vie d’un camé n’aura été aussi éloquent, aussi pénétrant, et aussi révélateur. Même si l’on sent que certains passages ont pu être amputés par l’éditeur (le roman a été publié en 1953, et sa genèse éditoriale n’a pas été une sinécure…), même si l’on a conscience que les camés et le système judiciaire américain des années 50 diffèrent des acteurs d’aujourd’hui et qu’en ce sens, « Junky » offre la photographie figée d’une autre époque, l’essentiel y est : un type accroché à la drogue jusqu’à la fibre de ses os et qui ne vit, ne respire, ne pense que pour ça… Le tout enrobé dans une prose cellophane.

« Je desserrai la cravate et le compte-gouttes se vida dans la veine. La cocaïne fit mouche à la tête tandis que la morphine se répandait dans mon corps en ondes calmantes.
— Ça allait ? demanda Ike en souriant.
— Si Dieu a créé quelque chose de mieux, il se l’est gardé, fis-je.
Ike nettoyait l’aiguille en y faisant passer de l’eau.
— Eh bien, dit-il bêtement. Quand il nous convoquera là-haut, on verra bien, pas vrai ? »

Effrayant, grinçant, instructif…



25/05/2013
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