La-Cave-aux-Mots

Né en 1969, Pierre-Yves Tinguely est graphiste indépendant et consacre son temps libre à l’écriture. « Codex Lethalis » est son premier roman. Il est publié chez Black Moon, dans la collection « Thriller » qui se destine à un lectorat résolument adulte.

Marc Davis est un détective privé, la quarantaine, qui roule sa bosse depuis de nombreuses années dans le secteur de Los Angeles et est aidé dans ses enquêtes par un don hérité de sa mère : il est capable de visualiser certaines énergies négatives associées au mal, à la mort, à la violence… Jason Reeds et Franck Harris forment un binôme d’inspecteurs pour le moins efficace et cumulent à eux deux plusieurs décennies dans la police. Jim Hamilton occupe le poste de responsable du département de la police scientifique du comté. Max Fergusson est quant à lui responsable de la cellule antiterroriste et possède sous ses ordres une centaine d’agents et plus de deux cent cinquante experts. Le lien entre ces hommes de terrain ? Ils vont devoir mutualiser leurs efforts pour venir à bout d’un assassin implacable : Zack Pierce, véritable fou à lier, dont l’ignominie des crimes ne tient aucune comparaison. Il est poussé par une soif de vengeance inextinguible, et le machiavélisme du plan qu’il met en place va fortement mettre à mal les compétences de ses poursuivants…

Pas d’ambages. Pas de censure. La scène d’ouverture du roman – la découverte de la première scène de crime – fixe d’emblée la tonalité : corps éventrés, décapités, démembrés, du sang partout, et le suicide inexplicable du meurtrier, honorable père de famille qui a tué sa femme et sa fille sans raison apparente… Les premières pages installent un climat dans lequel le lecteur ne fera que s’enfoncer par la suite : celui, oppressant et sordide, d’un thriller racé qui évoque, par la crudité de ses scènes, l’œuvre de certains maîtres du genre (Graham Masterton, James Herbert…). L’enquête échoit à une équipe de personnages éclectiques qui va progressivement démêler l’écheveau d’une intrigue plutôt bien balisée et moins sophistiquée qu’elle n’y paraît : les meurtres sont commandés à distance et déclenchés par le visionnage d’une vidéo de huit secondes à l’issu de laquelle le malheureux spectateur tombe sous le joug d’une folie meurtrière avant de mourir, la cervelle littéralement grillée. Zack Pierce, le cerveau de cette arme absolue, légitime ses crimes en voulant faire payer à certains un traumatisme de son passé dont il ne s’est jamais remis. Et le lecteur de se prêter au jeu de ce compte à rebours enlevé, de cette traque à l’homme dont l’issu épargnera peut-être la mort de nombreux innocents. Le style percutant participe pour beaucoup au plaisir de lecture : descriptions taillées à la serpe, personnages cernés en quelques lignes… Difficile aussi de ne pas succomber au rythme haletant de l’action, à une intrigue plutôt bien menée, à une construction au millimètre, et à une galerie de personnages désabusés mais attachants, qui se forcent à conserver en eux une part de lumière tandis qu’alentours, les ténèbres se propagent… La touche d’irrationnel et d’ésotérisme que cultive l’écrivain ne dépare en rien son sujet : l’origine de la vidéo diabolique plonge dans les racines de l’Histoire et s’acoquine avec le Mal… Il est question d’un ancien livre maudit capable d’invoquer des puissances démoniaques : le Codex Lethalis. Et dans ce contexte, le personnage d’Albert Tustin, en ancien prêtre de soixante-douze ans au corps d’athlète qui épaule les enquêteurs par sa science de l’irrationnel, trouve tout à fait sa place. On pourra peut-être regretter l’absence de réelle chute au roman, et un final qui déboule un brin trop vite lorsqu’on le compare à l’ampleur de l’intrigue qui nous a tenu en haleine jusqu’à là… Mais c’est bien là la seule critique que l’on pourrait faire à un thriller de bel acabit qui remplit parfaitement son office…

Pour un premier roman, Pierre-Yves Tinguely signe un thriller qui a tous les accents du bon Page Turner américain : difficile à lâcher une fois entamé. Une enquête au millimètre qui se double d’une chasse à l’homme haletante, le tout mâtiné d’un zeste d’ésotérisme et conduit par des figures romanesques du genre consistantes… L’auteur français n’a rien à envier aux maîtres anglo-saxons. Pour public adulte néanmoins.