La-Cave-aux-Mots

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Paul DOWNSWELL - Sektion 20


 

Romancier britannique ayant déjà à son actif plus d’une cinquantaine de romans, ancien éditeur, Paul DOWNSWELL a pour particularité d’assumer, au gré de sa bibliographie, un rôle de vulgarisateur historique. Son dernier roman publié en France, Etranger à Berlin, mettait en scène un jeune adolescent polonais adopté par un haut dignitaire nazi durant la seconde guerre mondiale. Sektion 20, publié cette année chez Naïve dans la collection « Land », retourne à une page méconnue de l’histoire allemande : la période des années 70, en pleine guerre froide, lorsque les deux républiques d’Allemagne (RFA et RDA) étaient scindées par une frontière infranchissable : le mur de Berlin.

 

1972. Berlin. Allemagne de l’est. Alex Ostermann est un adolescent intelligent, issu d’une famille dont les parents sont de fidèles citoyens de la classe populaire. Dans une société hyper-surveillée où la liberté individuelle et les espaces d’expression restent verrouillés par le gouvernement, Alex a du mal à trouver sa place. Son audace et son originalité soulèvent les soupçons de ses professeurs : Alex joue dans un groupe de rock qui promeut une musique interdite, il tient des propos ambigus en cours, il a quitté la « Jeunesse libre allemande », son allure s’inspire par trop de la jeunesse de l’ouest… Pour les autorités, il a le parfait profil d’un futur dissident. Ce que finit par confirmer Herr Roth, le principal de son lycée, auprès de la Stasi, la police secrète. Et lorsque Holger Vogel, ami proche d’Alex et guitariste de son groupe, disparait dans des circonstances mystérieuses, Alex devient à ses dépens le centre d’une surveillance rapprochée continue mené par un lieutenant sans scrupule : Erik Kohl. Sophie, sa petite amie, et Geni, sa sœur aînée, sont également inquiétées. Le quotidien d’Alex se dégrade inexorablement : ostracisme de ses pairs, chantage et menaces, sentiment de paranoïa exacerbé, incarcération… Alex est devenu un élément perturbateur au sein d’un système qui ne tolère aucun écart, et pour le remettre sur le droit chemin, les méthodes les plus crapuleuses sont autorisées. A l’issu de cette expérience, un choix : celui d’accepter sa condition, ou de la refuser.

 

L’auteur nous immerge donc dès les premières pages dans une période de l’histoire allemande qui ne nous est pas forcément familière : celle des années 1970 où la guerre froide battait son plein, où le bloc communiste et le bloc occidental étaient séparés par la ligne imaginaire du rideau de fer matérialisée par le mur de Berlin. L’occasion pour Paul DOWNSWELL de faire revivre un cadre, une époque, avec une exactitude historique et un souci du détail qui sont à souligner : pour la RDA ou Allemagne de l’ouest – héritière d’un modèle politique, social et économique inspiré par une Russie libératrice au sortir de la seconde guerre mondiale –, la priorité est de maintenir la cohésion d’une société en voie de morcellement : les « cerveaux » s’expatrient de plus en plus à l’ouest, souvent au péril de leur vie ; la jeunesse, bien que conditionnée par la propagande du parti, est influencée par la culture occidentale que la télévision diffuse… Alex est le digne représentant de cette jeunesse sous cloche, captive d’une pensée formatée, et qui est poussée par un désir violent et atavique de liberté. La musique est évidemment la première expression de sa rébellion : le rock de Led Zeppelin, par exemple, formellement interdit par le régime pour son caractère foncièrement subversif… Quand Sophie, la petite amie d’Alex, lui offre un vinyle du groupe, Alex est forcé de le garder caché, et lorsque la Stasi le découvrira au cours d’une perquisition au domicile de ses parents, il constituera une preuve à charge… Le roman restitue avec force et fidélité l’atmosphère viciée et oppressante de la RDA sur cette période pré-chute du mur : la Stasi emploie des méthodes radicales pour maintenir l’unité nationale et elle a de clairs relents de Gestapo : elle entraîne et fournit en armes la fraction de l’armée rouge qui opère sur le territoire de l’Allemagne de l’ouest (la fameuse « Bande à Bader »), elle se débarrasse sommairement des citoyens qui tentent de s’évader, elle bâillonne ses dissidents (jeunes comme adultes) en les envoyant dans des centres de détention – à ce titre, le passage d’Alex dans le centre d’Hohenschonhausense réserve l’un des épisodes les plus durs du roman.

 

Au-delà de cette reconstitution historique solide, ce qui constitue le second attrait de Sektion 20, c’est le parcours de son personnage principal. En effet, le besoin d’émancipation d’Alex va rapidement se heurter aux barreaux de tout un système et ainsi, en révéler les travers : une jeunesse embrigadée dans « la jeunesse libre allemande » où les esprits se voient infliger sans relâche le même discours marxiste-léniniste ; des croyances religieuses systématiquement considérées comme suspectes ; une mode conditionnée par un souci d’économie et d’égalité : les tenues vestimentaires sont standardisées… De sa répétition joviale avec son groupe à son incarcération dans un centre de détention, Alex suit une trajectoire déclinante. L’angoisse enfle au gré de sa persécution et n’est pas sans distiller chez le lecteur un certain malaise : car les méthodes arbitraires employées par le régime pour mater cet ado qui n’a rien d’un révolutionnaire éveillent en tout un chacun l’écho douloureux d’une des pages les plus sombres de notre Histoire et nous rappelle combien le principe de liberté, dans nos démocraties actuelle, n’est pas une évidence… Sur ce fond historique, la trajectoire d’Alex brode un récit d’aventure aux accents de roman d’espionnage : suspicion, paranoïa, révélations et rebondissements… L’intrigue n’est pas en reste, d’autant qu’elle se mâtine d’une histoire d’amour compromise – donc intéressante. La figure du méchant, incarnée par le sous-lieutenant de la Stasi Erik Kohl, est un modèle du genre, et il est bien difficile de ne pas sourire au sort que lui réserve l’écrivain en fin de parcours. Si l’écriture reste factuel et si les personnages, bien que justes, peuvent manquer d’épaisseur, on sent derrière le souci de reconstitution historique et cet entrain narratif un réel savoir-faire, une recette littéraire qui opère son attraction et emprisonne le lecteur dans ses rets jusqu’au dénouement. En somme : une réussite.

 

 

 Avec Sektion 20, Paul DOWSNELL nous replonge quarante ans en arrière, dans une Allemagne de l’est en pleine guerre froide. Fidèle reconstitution historique d’une époque peu connue qui se double d’une aventure oppressante, le roman affiche la double vertu d’être à la fois ludique et didactique. S’évader en (ré)apprenant : une formule qui comblera sans le moindre doute les jeunes lecteurs comme les plus âgés.

 

 

Extraits :

 

« — Les russes ne sont pas si mal, hein ? commença-t-il tandis qu’ils longeaient le parc, où le mémorial de guerre brillamment éclairé était visible à travers les arbres. Ils nous ont bien débarrassés des nazis ?

— Ils ont dépouillé notre pays, corrigea-t-elle. Des usines entières. Les rails et les wagons-lits des lignes de train. Nos meilleurs savants…et nos soldats. Quant ton grand-père est rentré de son camp de travail russe après la guerre, il n’avait que la peau sur les os. Il était presque méconnaissable. Pas étonnant qu’il soit mort jeune.

Alex appréciait le franc-parler de sa grand-mère. Lorsqu’ils étaient seul à seul, elle lui faisait remarquer avec mépris à quel point la RDA ressemblait au troisième Reich.

— Ils pensent qu’ils sont aux antipodes, persifla-t-elle. Mais réfléchis-y ! La jeunesse libre allemande rappelle les jeunesses hitlériennes. La Stasi, c’est plus ou moins la Gestapo ; et Bautzen, exactement comme Dachau. S’ils n’avaient pas construit le Mur pour empêcher tout le monde de s’enfuir, il ne resterait plus dans le pays que la Stasi et une poignée d’imbéciles du Parti socialiste unifié. Surveille ton comportement, Alex. Il ne vaut mieux pas qu’ils décident de s’intéresser à toi.

Alex s’aperçut qu’elle était plus sérieuse qu’à l’accoutumée. Contrairement à l’époque Nazie, personne n’était obligé de faire quoi que ce soit. Nul n’était contraint de s’engager dans les groupes de la Jeunesse libre, mais tout le monde savait pertinemment qu’il fallait en être membre pour avoir un avenir. Ceux qui refusaient trouvaient un travail en sortant de l’école bien sûr…puisqu’en RDA, tout le monde avait un emploi. Peut-être se réjouissaient-ils à l’avance de devenir assistants dans un magasin de pelles ou responsables du placard à balais plutôt que de diriger des projets de construction du district urbain de Leipzig… » (P29-30)

 

« — Nous n’avons pas oublié la situation après la guerre, reprit Franck. Ta mère et moi avions neuf, dix ans. Nous étions sous-alimentés. Nous n’avions nulle part où habiter. Hitler avait détruit notre pays. Et regarde-nous maintenant ! Nous avons un logement agréable, de la nourriture, et même un lave-linge et une télévision. Tout le monde a un emploi. C’est ça, le progrès. J’en suis convaincu.

— Sauf qu’ils ont l’équivalent en Allemagne de l’ouest, objecta Alex, qui s’efforçait de parler raisonnablement et sans provocation.

— C’est vrai. Seulement ils se fichent les uns des autres. Si on est en retard au travail, on est viré sur-le-champ. Des milliers de personnes se retrouvent au chômage dès que les capitalistes ne font pas leurs précieux profits. Les loyers sont exorbitants. Il n’y a pas de structures gratuites pour s’occuper des enfants, car chacun ne pense qu’à lui-même. C’est un monde dominé par l’égoïsme, Alex. Les gens n’y veillent pas les uns sur les autres. Les politiciens, les dirigeants locaux sont tous d’anciens nazis. Ça me rend malade de penser que tous ces vieux qui dirigent l’Ouest ont passé leurs jeunes années à se pavaner en uniforme nazi en criant « Sieg Heil » avec les pires d’entre eux. Au moins, à l’Est, nous avons effectué des purges et puni les nôtres. Je ne voudrais vivre là-bas pour rien au monde. » (P106-107)



02/06/2013
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