La-Cave-aux-Mots

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Richard COWPER - Le crépuscule de Briareus

 

 

Attention ! Ecrivain peu connu pour chef-d’œuvre absolu !


On doit à Richard Cowper – Colin Murry de son vrai nom – huit romans, dont les plus significatifs sont sans doute sa Trilogie de Corlay et Le Crépuscule de Briareus publié en 1974, roman qui nous intéresse ici.  

 

 

Pose du décor

 

En l’an de grâce 1983, Briareus Delta, lointaine étoile perdue dans les confins de l’espace, se transforme en supernova. Les radiations dégagées par son explosion traversent l’immensité galactique pour venir bombarder la Terre quelques cent trente années plus tard. Conséquence immédiate : la race humaine, criblée de ces invisibles ondes délétères, est frappée d’une stérilité progressive qui la condamne, à terme, à une extinction certaine. Autre incidence : le climat de la planète, au fil des mois, sombre dans un hiver rigoureux, le froid grignotant inexorablement le rythme des saisons. En quelques années, le nord de l’Europe se retrouve figé sous un épais manteau de neige. Dans ce décor hostile, de fin du monde, l’humanité en suspend attend l’intervention divine de la science qui la délivrera de son mal. Si intervention divine il doit y avoir, ce n’est cependant pas par la science qu’elle se manifestera. Au sein de l’humanité en perdition, certains hommes et femmes développent de surprenantes facultés : c’est le cas de Calvin Johnson, professeur de littérature au collège de Strapham, qui, depuis l’explosion, est en proie à des hallucinations qui lui ouvrent grandes les portes de l’avenir. De surcroît, Calvin se découvre un inexplicable pouvoir : celui d’attirer à lui, par une sorte de puissant magnétisme physique, les membres du sexe opposé. Et alors que lentement, au rythme du lent ballet des flocons épaississant le ciel et recouvrant les agglomérations qui se vides, l’humanité avance vers sa chute, Calvin, de rêve en rêve, de rencontre en rencontre, de péripétie en péripétie, finira par trouver la voie qui mènera l’Homme à sa régénération, et surtout, pour le meilleur et pour le pire, l’élèvera au nouveau stade de son évolution…

 

 

Une Apocalypse tout en retenu

 

Ici, donc, Richard Cowper s’attelle à un registre que l’on pourrait qualifier de « SF catastrophe ». Pourtant, si le sujet se rattache indéniablement à ce genre, le traitement diffère largement de ce qu’ont pourrait trouver dans les œuvres d’un Edmund Cooper ou d’un John Christopher. Dans le Crépuscule de Briareus, pas d’effusion de sang, pas de violence à outrance, pas de bandes dépravées qui sillonnent les routes en quête de proies à massacrer : l’Homme, s’il se sait condamné, ne se vautre pas dans ses instincts les plus vils pour accélérer sa déchéance… Non. Cowper nous livre une vision de la fin du monde tout en douceur, tout en finesse, tout en nuances, tout en poésie. Retenu et délicatesse. Comme un doux contrepoint à ces villes qui se figent dans leur coquille de glace. Jamais il n’utilise de grossiers procédés et autres formules archaïques pour faire avancer son intrigue. Il préfère au contraire laisser planer le doute, entretenir l’incertitude. De ce fait, le roman est tout emprunt d’une sorte « d’aura de mystère » qui ajoute grandement à son charme intrinsèque. Un exemple : « l’invasion » de l’entité Briaréenne – l’un des nombreux sujets du roman – n’est jamais clairement pointée du doigt ; jamais prononcée en ces termes patauds. L’auteur ne fait qu’effleurer la question sans mettre réellement de mots dessus. Au lecteur de laisser courir son imagination : Quelle forme adopte cette entité ? Quelles sont ses intentions réelles ? Cowper ouvre des perspectives. A nous de les combler. Un parti pris du « non-dit » qui n’a qu’un travers à mon sens : celui de faire paraître le roman, par certains côtés, quelque peu opaque, ou (une fois refermée la couverture) inachevé. A tort, évidemment. Car au-delà de cette fausse impression, ce qui nous reste en tête après lecture c’est avant tout le réalisme des situations dépeintes, autant que la complexité admirablement bien rendue des relations humaines placées dans un contexte apocalyptique. Ce qui nous reste en mémoire, c’est la trajectoire inéluctable de Calvin Johnson, personnage que l’on voit évoluer, cheminer vers une destiné que l’on entrevoit mais à laquelle on ne veut pas croire... Enfin, ce que l’on garde en nous, c’est une somme d’idées, qui, à la manière de la sainte trinité d’un puissant accord symphonique, résonnent longtemps sous notre crâne, interpellant notre raison et abandonnant derrière chacune de nos pensées un délicieux goût de pertinence…

 

 

Une sainte trinité

 

Sous ses faux-semblants de roman SF catastrophe, Le Crépuscule de Briareus est une mine. En plus d’être écrit dans un style aussi riche et limpide que plaisant (un style auquel la traduction rend parfaitement honneur), en plus de mettre l’accent sur la vraisemblance des situations et la justesse de caractère des personnages, l’auteur enfonce le clou en abordant pas moins de trois thématiques essentielles à la science-fiction.

Une sainte trinité, oui.

La première – et qui remonte certainement aux prémices du genre – c’est celle du premier contact : la rencontre de l’homme avec une entité étrangère, extraterrestre, même si, comme on l’a vu, cette dernière n’est jamais réellement étayée au cours du roman, mais plutôt édulcorée par la narration.

A cette première thématique vient s’ajouter celle, tout aussi captivante, de l’évolution de l’espèce humaine. En ce sens, Le Crépuscule de Briareus rejoint, sur le fond, les rares romans porteurs d’un message puissant sur le sujet que sont, pour ne citer qu’eux, 2001 l’Odyssée de l’Espace de Clarke, ou, plus récent, Neuromancien de William Gibson.

Dernier point d’orgue de cette sainte trinité, le thème de la conscience collective, que je ne peux malheureusement pas développer ici par crainte de dévoiler certaines clés du roman et de saper la surprise du lecteur potentiel…

Une sainte trinité… Pour un seul roman… Que demander de plus ?

 

 

Les références possibles

 

Car il y en a… Evidemment.

Tout d’abord, l’atmosphère « contemplative » du roman, sa fibre poétique prononcée, sont autant d’ingrédients rappelant une autre œuvre de SF antérieure au Crépuscule de Briaerus et abordant, dans un même contexte de fin du monde mais sur un registre poétique encore plus prononcé, un sujet similaire : je veux parler de la fameuse Forêt de Cristal (1966) de JG Ballard. Une certaine lenteur dans la trame narrative et dans le cheminement des actions que les deux romans se partagent indiscutablement.

Autre référence probable, celle de la Guerre Aux Invisibles (1939) d’Erik Franck Russel : ce roman met en scène des entités extraterrestres invisibles oeuvrant insidieusement sur l’esprit des hommes pour les précipiter vers leur propre destruction. L’affiliation existant entre les Vitons (dans le roman de Russel) et les Briaréens (dans celui de Cowper) me paraît claire : bien que leurs motivations divergent (belligérantes pour les premiers et pacifiques pour les seconds), tous deux incarnent une forme de vie extraterrestre, invisible, possédant la même capacité à orienter la volonté des hommes…

Autre référence notable, (je vous ai mis sur la voie avec ma « sainte trinité »…), celle faite, tout au long du roman, à la bible, à la religion, avec un Calvin Johnson qui incarne la parfaite figure du nouveau prophète, jusqu’aux dernières lignes du roman…mais je n’en dirais pas plus. 

 

 

Conclusion ?

 

Un chef-d’œuvre. Sans demi-mesure. Très bien écrit, vraisemblable jusqu’au bout, porté par un souffle poétique et une sensibilité rare qui nous installent, de page en page, dans un confortable voyage qu’il est difficile de quitter, souligné d’un arrière-plan symbolique – pour ne pas dire mystique – évident, abordant des thématiques fondamentales chères à la science-fiction, Le Crépuscule de Briareus est un point de convergence, une cathédrale littéraire dont l’harmonie générale et l’équilibre des formes ne peut laisser indifférent tout adepte de l’imaginaire qui se respecte… Sa lecture terminée, le lecteur n’a qu’un seul regret : que Cowper, l’auteur – après avoir connu son heure de gloire dans les années 70 – ait sombré dans la masse des écrivains dont on a oublié le nom. Et que son œuvre, ignorée des jeunes générations, demeure dans le silence de l’édition…

 

 

 

 

 



12/05/2013
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