La-Cave-aux-Mots

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John CHRISTOPHER - Terre brûlée

 

 

Auteur et filiation

 

Ecrivain anglais rattaché au courant « catastrophe » très en vogue dans les années 50/60 (et hérité d’HG Wells et son fameux "La guerre des Mondes" de 1898), John Christopher a abordé un peu tous les genres, grignotant sur les platebandes du roman policier, se tournant vers la littérature de jeunesse mais aussi le thriller, exploitant enfin le genre du « roman catastrophe » avec deux œuvres majeures ayant fait date : "Terre Brûlée" (1956), et "l’Hiver Eternel" (1962), toutes deux décrivant la lente chute de l’homme dans un contexte de fin du monde, et l’auteur axant son étude autour de la description psychologique - d’une rare justesse - des personnages mis en scène dans ce décor de chaos et de mort où l’humanité, par la force des choses, retourne à son stade le plus primaire, le plus sauvage. D’autres écrivains anglais exploiteront ce filon : Edmund Cooper avec "Le jour des Fous" (1966), JG Ballard avec son quatuor apocalyptique : "Sécheresse" (1965), "La Forêt de Cristal" (1966), "Le Vent de Nulle Part" (1977), Fred Hoyle et "Le Nuage Noir" (1957)… Un genre du « roman catastrophe » qui ne manquera pas de fasciner nombre d’écrivains étrangers et qui perdurera longtemps jusqu’à accoucher d’une œuvre qui fait office d’aboutissement : "Le Fléau" (1978) de Stephen King, qui emprunte - aussi bien pour le contexte apocalyptique que pour la volonté délibérée de l’écrivain de dépeindre le plus justement possible la psychologie des personnages occupant le devant de la scène - à tous ces romans suscités.

 

 

L’histoire

           

Vous aimez les fins du monde ? Les visions d’apocalypse ? Le chaos, la mort ? Tout cet ordre, toutes ces nobles et vertueuses lois érigées au fil des siècles par la volonté, la sueur, et le sang des générations passées, cet ordre établi qui, par le fait d’un petit grain de sable, s’étiole, se racornit, agonise, disparaît purement et simplement pour renvoyer l’homme aux prémices barbares de son évolution ? Vous aimez frissonner devant un monde qui s’écroule inexorablement, et voir Mr Tout-le-monde se débattrent dans cette débâcle ? Vous aimez le feu, l’odeur de la poudre, le bruit palpitant des armes qui fende le silence de l’agonie ?

Alors vous allez aimez ce "Terre Brûlée"

Tout commence au pays du soleil levant. Par un beau jour de printemps, les paysans chinois s’aperçoivent que leurs rizières, atteins d’un virus aussi redoutable que mystérieux, ne peuvent plus produire de récoltes… En quelques semaines, l’économie du pays s’effondre, la famine ronge toutes les couches de la population, et l’anarchie s’installe, décapitant sans fioriture le gouvernement. Le virus se propage rapidement au reste de la planète, mutant jusqu'à devenir une arme destructrice de toute végétation : plans d’herbes, champs de blé, étendues de tournesols, bientôt, il ne subsiste rien. Tout disparaît, dévoré par ce monstre invisible qui ne laisse derrière son passage fulgurant qu’une terre stérile, écorchée, mise à nue, et une humanité égarée, sans ressource, sans repaire, livrée à elle-même. Les gouvernements d’Europe basculent un à un après de veines tentatives de juguler l’anarchie galopante. Car il n’y rien à faire. Personne ne peut stopper la masse désespérée. Nul ne peut résonner la foule en fureur. Une population acculée à la famine est prête à tout pour subvenir au besoin élémentaire de se nourrir. Et implacablement, les systèmes s’effondrent. Au sein de ce décor de chaos, où les lois morales n’ont plus de sens mais où seules prédominent celles des armes, celles du plus fort, John Custance, architecte de son métier, père de deux enfants, va tenter d’entreprendre un long voyage qui le conduira à la terre promise : la vallée de « Blind Grill », îlot préservé de l’horreur environnante où son frère David, propriétaire d’une ferme, cultive un Eden prometteur du recommencement. Mais le périple sera long et semé d’embûches. Et il modifiera en profondeur l’homme que John Custance croit être…pour le meilleur et pour le pire.

 

 

Petite analyse

 

Pourquoi se replonger dans un roman publié il y a plus de cinquante ans  ? Ne manquera pas de relever le lecteur sceptique de nature. Parce que "Terre Brûlée", pour l’époque, avance son lot d’idées et de trouvailles qui conservent une étonnante actualité, m’empresserai-je de lui répondre. Et qu’il n’est pas dénué de qualités…

En premier lieu, l’idée de départ du roman est en elle-même tout à fait captivante :  imaginer que l’humanité soit brusquement privée de ses ressources alimentaires à cause de la propagation d’un virus est une véritable trouvaille qui, dans la littérature, et à ma connaissance, ne connaît pas de précédent (corrigez-moi si je me trompe). L’ambiance qui découle de cette tragédie et qui pèse, tout au long des pages, sur le lecteur, est tout à fait représentative du courant « catastrophe ». Ce climat de mort, de barbarie, où l’homme ne répond plus qu’à son instinct de préservation, atavisme animal, où il ne vit plus que pour la survie, où il ne considère plus son semblable comme son égal, mais comme son ennemi, titille notre fibre sensible : dans le confortable moule de la société que nous occupons, cette vision de chaos, de confusion, et de tension extrême ne peut que nous effrayer, nous, lecteur, confortablement installé dans notre fauteuil, entouré de cet ordre qui préside à notre existence.


Autre source de jubilation du roman : ces concepts d’absolu que l’écrivain n’hésite pas à empoigner sans ménagement, et auxquels, avec un malin plaisir, il tord le cou. Il en va ainsi de la Science. La Science présentée dans ce "Terre Brûlée" comme reflet de la valeur d’une société occidentale, blason doré qui l’élève au-dessus des pays en voie de développement que sont la Chine, l’Inde, eux qui n’ont su, avec leur faibles moyens technologiques, éradiquer le virus : les peuples européens ne s’inquiètent absolument pas de la propagation du virus Chung Li, car ils savent, du haut de leur arrogante supériorité, que leur Science, qui a réponse à tout, aura le dernier mot. Les peuples européens nourrissent une confiance similaire envers la Politique, autre concept que Christopher n’épargne pas de sa plume : Pourquoi paniquer ? Le gouvernement réglera le problème…se rassure la pensée commune. La foi aveugle de la masse populaire en ce système que les décennies ont imposé dans les mentalités comme un schéma inébranlable a transformé cette masse en une espèce de troupeau d’assistés. Mais qu’advient-il lorsque le système atteint ses limites ? Lorsqu’il implose ? Lorsque l’assisté se retrouve seul, sans cadre pour le diriger ? L’homme, pour survivre, est obligé de n’avoir plus foi qu’en lui-même : l’homme redevient « un loup pour l’homme »… Et c’est la fin de la société. C’est toute la portée du message que John Christopher, trois cent pages durant, s’efforce de nous faire passer. Un message qui interpelle forcément…

Autre qualité du roman, sa vraisemblance. A noter que la violence gratuite de certaines scènes, l’immoralité de certaines situations, peut choquer le lecteur le plus averti… L’écrivain pousse le réalisme dans ses plus rudes retranchements : les héros ne sont absolument pas des archétypes, ils ne se comportent pas en personnages animés d’un soucis de vertu ou de justice. Ils ne courent pas à la rescousse de demoiselles en détresse et d’orphelins abandonnés. Non. Placés dans un contexte où les lois de la société sont les reliques d’une époque résolue, ils s’adaptent. Ce sera à celui qui tue le premier. Et le groupe de Custance, sans l’ombre d’une hésitation, est le premier à dégainer les armes pour faire feu... A cet égard, l’évolution de John, personnage ordinaire propulsé dans une situation extraordinaire, est d’une justesse confondante. Le lecteur applaudit. Partant du caractère d’un simple père de famille, John, au contact des duretés de cette nouvelle existence itinérante, va se forger une personnalité de meneur de troupe, figure impavide, implacable, impitoyable, dont la seule préoccupation, au-delà de toute considération personnelle, familiale, ou morale, sera de réaliser son but : à savoir, conduire le groupe dont il a la charge jusqu’à la Terre Promise. Et le lecteur, par la plume aguerrie de Christopher, assiste à cette métamorphose progressive, à ce voyage initiatique : la nature d’un homme taillée à grands coups d’estocades du réel… On en redemande…

 

Dernier élément incitant à la lecture, le personnage fascinant de Pirrie : vieil armurier décati de soixante ans, qui, dès le début du roman, se joint au groupe de John Custance. Fascinant, car il incarne une figure particulière : celle du tireur d’élite au sang-froid que rien ne semble pouvoir ébranler. Monolithe d’impassibilité qui fait mouche en toute circonstance. Armé de son fusil de chasse à lunette, Pirrie est le parangon de l’invincibilité. Le pillier-protecteur du groupe. Ambigu dans ses réactions, il suscite pourtant chez le lecteur une sympathie innée qui perdure jusqu’à la toute fin…

 

 

Conclusion

 

Rares sont les romans affichants, ou plutôt, cultivant un tel réalisme dans le traitement littéraire, et surtout, maintenant ce réalisme jusqu’à l’inévitable point de chute… En dépit des cinquante années qui nous séparent de son édition, "Terre Brûlée" n’a pas vieilli. Reposant sur une base solide d’idées aussi fortes qu’originales, servi par un style agréable et fluide, parsemé de personnages complexes et attachants, entretenu par un rythme où l’action se perpétue, le roman nous offre un plaisir de lecture inchangé… Si vous voulez vous immerger dans une vision de la fin du monde qui ne souffre d’aucune facilité mais qui impose au contraire un univers d’une rare cohérence, je ne peux que vivement vous conseiller de vous plonger dans ce "Terre Brûlée"

 

 

Quelques extraits pour la route, évidemment…

           

« Rien n’était plus désolé, songea-t-il, qu’une voix de chemin de fer sur laquelle aucun train n’est attendu. » (P225)

 

« — On vient à l’instant de passer devant une cabine téléphonique. Personne n’a eu l’idée d’appeler la police.

— Pour quoi faire ? demanda Roger. La sécurité publique est une chose qui n’existe plus maintenant. Tout se passe au stade individuel. […] On en est revenus à la Vendetta. » (P141) 

 

« Avec un étonnement douloureux, il songea : dans le passé, la justice a toujours été rendue dans les règles. Maintenant, le mot de justice lui-même ne veut plus rien dire, au milieu de ce champ où se sont les armes qui parlent. » (P144).

 

« …Toutes les preuves en notre possession indiquent que l’Europe Occidentale a cessé d’exister en tant que partie intégrante du monde civilisé. » (P191). 



12/05/2013
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