La-Cave-aux-Mots

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Dan SIMMONS - Les fils des ténèbres

 


 

Simmons s’attaque à du lourd… Le mythe de Dracula initié par Bram Stoker en 1897 par le roman éponyme jette les bases du fantastique moderne. Autre traitement tout aussi pertinent mais bien plus tardif, Entretien avec un Vampire d’Anne Rice, roman échevelé qui pousse encore plus loin la note romantique, torturée, et finalement humaine de cette figure emblématique, incarnation de l’être surnaturel, qu’est le vampire. Les Fils des Ténèbres – qu’on préférera ici évoquer sous le titre original de « Children of the night », puisque référence directe au roman Dracula sus cité – Children of the night, donc, s’attaque au mythe en axant son approche autour d’une vision plus « pragmatique » de la chose.

Alors… Quel goût à ce sang frais que nous propose Simmons ?

 

 

L’Histoire

 

1989. En Roumanie. Le gouvernement de Ceausescu vient de tomber avec l’exécution du dictateur. Le pays en ruine se reconstruit difficilement, émergeant d’une période totalitaire qui a saignée son économie à blanc. Dans ce climat de tension politique, Kate, brillante hématologiste américaine, se dévoue corps et âme pour sauver les milliers d’enfants orphelins recueillis dans les hôpitaux, fruits malades d’une politique de natalité excessive menée par l’ancien régime et qui a eu pour conséquence l’abandon par les familles roumaines de leur progénitures – en trop grand nombre – qu’elles n’étaient plus capables de nourrir.

La Roumanie. Berceau du mythe de Dracula.

Les Carpates. Sommets escarpés irradiés des rayons pourpres d’un soleil brouillé. Le château de Vlad Tepes dominant les gorges profondes. Un décor à forte attraction, qui fascine par sa beauté sauvage et rutilante…  

Kate donc, se bat jour et nuit, usant sa santé dans un combat désespéré : sauver des nourrissons atteints de DIMG (comprenez maladies à Disfonctionnement Immunitaire Moyen à Grave) que les ressources archaïques des équipements médicaux roumains ne peuvent prendre en charge. C’est l’enfer du décor : trente années de dictature aveugle on fait régressé le pays à un stade alarmant. Que ce soit dans les orphelinats où sont parqués par milliers et à même le sol des enfants mourants, ou dans les hôpitaux bondés où s’entassent malades et morts en devenir, les transfusions sont réalisées avec des seringues usagées, non stérilisées, les soins sont prodigués sans aucun souci sanitaire, les bouches sont nourries avec des biberons d’eau mélangée à du sang… Cette absence d’hygiène élémentaire précipite la propagation des virus qui se transmettent sur le mode d’une prolifération galopante. Et face à ce double échec de l’incompétence des équipes médicales et de la vétusté des locaux et des moyens techniques mis à sa disposition, Kate, frustrée, impuissante, n’a que sa volonté à opposer. Sa volonté, et sa foi en son métier. Jusqu’au jour où un petit bébé lui est amené. Le nourrisson est atteint d’une déficience immunitaire extrêmement rare qui, à terme, et sans l’apport des soins nécessaires, le condamne à une mort certaine… Prise pour l’enfant d’un élan d’amour et de compassion, Kate décide de l’adopter et de le ramener avec elle sur le territoire américain, espérant profiter du matériel scientifique autrement évolué que son laboratoire lui fournit pour remédier au mal qui le dévore. L’initiative s’avère aussi louable que payante, puisque après série d’analyses poussées, l’enfant, Joshua de son prénom, révèle une caractéristique génétique immunitaire inédite dont le décryptage ouvre de fascinantes perspectives dans le traitement de maladies comme le cancer, l’hépatite, ou le SIDA. Pour la communauté scientifique, Joshua est une véritable boîte de Pandore…

Mais les temps propices tournent courts… Un soir, au cours d’un assaut aussi soudain que violent, l’enfant lui est enlevé sous son propre toit par des individus encapuchonnés de noir à la force surhumaine. Dès lors, la vie de la jeune femme bascule. Ayant de peu réchappé à la mort, une seule obsession occupe toutes les pensées de Kate : retourner en Roumanie. Se lancer sur les traces de ses agresseurs pour retrouver son fils. Et surtout, pour leur faire payer…

…Payer le prix du sang…

 

 

Nouvelle vision du mythe, donc…  

 

…Simmons ancre son roman dans un rationalisme délibéré qui se traduit sur deux niveaux.

Sur un plan historique, tout d’abord. Oubliez ici la vision romantique du personnage de Dracula inaugurée par Stoker. Simmons retourne aux origines historiques du mythe : le prince Vlad Tepes, tirant sanguinaire d’une monstrueuse cruauté qui a régné en Valachie au milieu du XVè siècle et qui s’est illustré dans la guerre contre l’armée turc par la radicalité de ses combats et par les supplices atroces qu’il faisait subir à ses prisonniers. Simmons s’est sérieusement documenté sur le sujet. Et à la narration mettant en scène le personnage de Kate, il insère de croustillants rapports « historiques » rédigés à la première personne – donnant la parole à Dracula lui-même – qui exposent au lecteur souvenirs de batailles et autres actes de bravoure ou d’ignominie ayant pérennisé la renommé du Prince. Ne le cachons pas, ces insertions – qui sont autant d’éclairages jubilatoires sur la fascinante personnalité du prince et qui font, là encore, référence au Dracula de Stoker par leur forme « épistolaire » – constituent un indéniable plaisir. On regrette simplement qu’elles ne viennent pas plus souvent ponctuer la trame narrative… Toujours dans cette volonté d’éclairer le mythe sous une optique plus rationnelle, le fait que Simmons pose l’action de son roman dans une page de l’histoire roumaine récente, à savoir, la période ayant succédée à la chute du régime de Ceausescu. C’est ainsi que, fuyant des êtres à la force inexplicable, Kate se retrouve prise dans une rixe opposant une foule de manifestants à la répression rude d’anciens éléments de la Securitate… Cette superposition de différents tableaux n’est pas sans dégager un certain charme : le surnaturel – tout du moins, au début du roman – côtoie le réel, ce qui apporte au récit une touche toute particulière… Procédé déjà utilisé, ceci dit, dans l’Homme Nu.

Sur un plan scientifique ensuite. L’originalité de ce Children Of The Night résidant dans la tentative de Simmons de légitimer scientifiquement le mythe du vampire, non sans sombrer d’ailleurs dans quelques travers fastidieux. Le lecteur à en effet le droit à quelques pages de jargon médicale et scientifique plutôt rébarbatif. Nonobstant ces quelques écueils rapidement survolés par les non-scientifiques auxquels j’appartiens volontiers, Simmons atteint son but et parvient à nous prouver par  A + B que le vampirisme pourrait posséder une justification médicale (Spoiler : …en étant le résultat d’une déficience génétique caractérisée, chez le patient, par la présence, au sein de son organisme, d’un hôte parasitaire conditionnant le déficit immunitaire et sa rémission dès ingestion de sang…). L’idée possède aussi son charme. Et du coup, la quête de Kate de retrouver son fils adopte aux yeux du lecteur une double signification : elle est autant motivée par un sentiment sincère d’amour envers son fils que par les espoirs multiples que l’étude clinique de son cas est susceptible d’apporter dans le combat contre les DIMG…

Mais cette volonté de rationaliser le mythe, si elle constitue indéniablement l’originalité de cette nouvelle lecture, n’est cependant pas sans en écorner l’icône… Et oui… Car là où le lecteur s’attend à trouver sursauts de surnaturel ou souffle romantique qui participent à son émerveillement ou à sa terreur, il ne trouve que l’incarnation froide de protagonistes dont la condition, légitimée scientifiquement, en devient dépouillée du mystère qui en faisait tout le charme originel… Le vampire est ainsi « destitué ». De « figure emblématique », il ne devient plus qu’un être simplement mauvais, atteint d’une maladie qui fait de lui un monstre insatiable en perpétuelle quête de pouvoir… Cette vision pragmatique se révèle au final réductrice en ce sens qu’elle ampute le terrain de l’imaginaire. Le lecteur cherche l’émerveillement là où il ne trouve que des personnages inconsistants ayant perdus leur « essence », leur « âme » fantastique. Et rapidement, la fascination tirée du mythe fait place à un détachement consécutif à une cruelle désillusion. Dans cette continuité, et au menu des reproches que l’on pourrait formuler à propos de Children Of The Night, le parti pris de Simmons de restreindre la narration à l’unique point de vue du personnage de Kate… Cette focalisation limite grandement la perception du lecteur, lui donnant l’impression de suivre l’action au travers d’une lucarne trop étroite… Sans aller jusqu’à la multiplicité des points de vue du roman de Stoker (la forme épistolaire facilitant encore plus ce procédé), on aurait tant voulu entrer plus en profondeur dans les pensées de Vlad Tepes… Car c’est lui l’objet réel de nos peurs. C’est lui le déclencheur de nos émotions… C’est à son contact que notre épiderme se hérisse de frissons… Simmons nous fait miroiter l’image de cette créature fascinante et se contente de l’effleurer en surface, superficiellement, préférant se concentrer sur le comportement de Kate qui incarne la parfaite madame « tout le monde ». C’est un peu comme s’il nous enfermait dans une cage avec notre voisin de pallier en nous abandonnant avec la certitude que dans la pièce d’à-côté, Mozart, Gandhi, K. Dick et Jésus réunis se partagent un bon café en discutant du gouvernement Sarkozy ; ou de l’appartenance du dernier McCarthy à la littérature de SF…

Les boules, quoi ! On a vraiment les boules…

 

 

Conclusion

 

Simmons s’attaque au mythe de Dracula en adoptant l’angle scientifique. L’idée de départ possède son charme, et ancrer l’action du roman dans un contexte historique autant que scientifique est sans aucun doute l’attrait majeur de ce Children of the Night. Mais cette relecture se révèle à double tranchant. Ce que le roman gagne en crédibilité et en cohérence, il le perd en densité, en intensité, et en émotion. Children of the Night était un parcours de montagne qui nous promettait des sommets, mais qui tourne malheureusement à la petite sente de randonnée alpestre, très loin de nous élever vers les cimes que ses illustres prédécesseurs nous ont fait gravir dans le champ de l’horreur et du fantastique. Ça se lit bien. Ça se lit vite. Mais une fois refermé, on range nos mousquetons, et on n’y retourne pas…



12/05/2013
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