La-Cave-aux-Mots

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Pierre BORDAGE - Graine d'immortels

 

 

On doit à Pierre BORDAGE une bibliographie conséquente qui s’illustre tant sur le plan de qualité que sur celui de l’éclectisme. Aussi à l’aise dans le registre du space opera le plus flamboyant (Les Guerriers du Silence) que dans celui de la fantasy médiévale (Les Fables d’Humpur), il fait partie des auteurs incontournables de l’imaginaire francophone, et c’est avec un plaisir fidèle et jamais déçu que je découvre ses nouveaux récits. Depuis quelques années, BORDAGE a pris le parti d’amorcer un autre virage éditorial : sa « trilogie des prophéties » marque en effet le début d’une littérature que l’on serait tenté de qualifier de plus « prospective ».

Graine d’Immortels, publié en 1999, et qui se voit habiller, cette année, d’une tardive édition en format poche, s’inscrit dans ce registre « prospectif » : le but ici est moins de susciter chez le lecteur l’évasion gratuite ou l’émerveillement pur que de le placer face à des préoccupations directement en prise avec sa réalité, par l’apport d’un éclairage réaliste sur certains traits particuliers de sa contemporanéité.

Qu’en retient-on ?

Qui lira, saura.

 

           

Synopsis 

 

Mark Sidzik, est le descendant d’une longue lignée d’homme de science. Travaillant pour le comité international d’éthique et de recherche, il vit à Paris aux côtés de Joana, sa grand-mère, dernier lien de parenté le rattachant à une famille décimée. Fière de ses quatre-vingt-dix ans, rien ne semble pouvoir réfréner les envies de voyages de la vieille dame dynamique, au grand dam de son petit fils qui la choie avec un amour exclusif en l’entourant d’attentions parfois étouffantes. Le quotidien de Mark se voit bouleversé du jour au lendemain par un mystérieux appel téléphonique passé en catastrophe : une jeune indienne lui intime l’ordre de prendre le premier vol pour l’Inde afin de rejoindre au plus vite le professeur Jean Hébert, ancienne connaissance de son défunt père Samuel. Homme d’honneur et de principes, soucieux de pérenniser le prestige de l’héritage familial, c’est sans hésiter que Mark s’envole pour Mumbai. Flanqué de son ami de longue date Fred Cailloux, journaliste débonnaire et ronchonneur au caractère bien trempé, les deux comparses s’embarquent pour un voyage dont ils sont à des lieux de pouvoir deviner les enjeux réels. Arrivés sur place, la réalité les rattrape avec fureur. Ils sont conduits sur les lieux d’un massacre, on tente de les assassiner, des tueurs sont lancés à leurs trousses et les traquent sans vergogne, tandis que les intouchables, tout en bas de l’échelle sociale indienne, fomentent des attentats meurtriers qui abandonnent dans leur sanglant sillage d’innombrables victimes. Il faut faire face à cette violence omniprésente d’une société indienne en perdition, comme il faut affronter sa pauvreté envahissante et se plier à son inébranlable système de castes… Mais par-dessus tout, un seul impératif : récupérer le DVD légué par le professeur Hébert. Une somme de données sensée contenir ses derniers travaux en génétique. Des travaux à même de bouleverser la face du monde. Nombreux sont ceux, dans les hautes sphères industrielles et scientifiques, à montrer le plus vif intérêt à la récupération de cette pierre philosophale dont l’exploitation commerciale pourrait rapporter des sommes dépassant les prospectives les plus folles…

La vie s’efface rapidement devant la couleur des billets.

Cela, Mark ne mettra pas bien longtemps à le comprendre. Tout comme il comprendra rapidement qu’au sein de cette société indienne tout en contrastes, qui mêle les plus grandes promesses technologiques à un archaïsme religieux millénaire, la vérité est très loin de revêtir la forme primitive des apparences…

 

 

Avis subjectif

 

Au programme : un petit thriller scientifique sans prétention, de trois cent pages à peine, qui nous réserve son lot d’aventures, de dépaysement, de personnages hauts en couleur, et d’action menée tambour battant, le tout mâtiné d’une sérieuse réflexion sur un sujet d’actualité : la guerre des brevets génétiques que se livrent certaines multinationales.

Si Mark Sidzik se révèle un protagoniste au caractère plutôt lisse, on se régale devant les sauts d’humeur de son acolyte Fred Cailloux, qui, derrière son caractère râleur et son aspect pataud, dissimule une intelligence et une sensibilité tout à fait attachantes. Indrani, personnage féminin du roman, femme aux charmes aussi envoûtants que sulfureux, est une autre réussite : impossible, en effet, de ne pas être fasciné par sa beauté autant que par l’ambiguïté de ses motivations dont la nature réelle ne nous sera dévoilée qu’au seuil du dénouement… Les méchants quant à eux, ne sont pas en reste : incarnés par une hydres à deux têtes d’une froideur à toute épreuve, un duo aussi complémentaire qu’antipathique et dont la perfidie atteint des sommets, ils donnent le ton crépusculaire du roman dès le premier chapitre avec une scène d’ouverture pour le moins saisissante [on pense aux ouvertures électrochocs ou coup de poing d’un MASTERTON, ex : Tengu, mais en un peu plus édulcoré tout de même…]. BORDAGE met d’emblée les pendules à l’heure : c’est un monde réaliste et cruel qu’il nous ouvre avec ce Graine d’Immortels, et par la suite, il ne lésinera pas sur les scènes de meurtres ou de torture. Dernier protagoniste du roman, enfin, et non des moindres : la société indienne, dépeinte sans exagération, sans commisération, mais avec un souci constant d’objectivité et de nuances qu’on se doit de féliciter.

La construction du récit ne souffre d’aucune faille. L’intrigue se dévoile progressivement, sans réel temps mort, et les scènes d’action, nombreuses, alternent avec les passages plus lents qui permettent à l’auteur de tailler ses personnages du bout de cette plume si fluide et si agréable qu’on lui connaît. Enfin, BORDAGE pointe du doigt un réel sujet de préoccupation : l’exploitation, par certaines multinationales, de brevets génétiques obtenus au défi de toute éthique, auprès de peuples qui ne toucheront jamais la moindre indemnité financière… Le roman s’achève d’ailleurs sur un entretient assez éloquent, avec Alain Gallochat, directeur juridique de l’Institut Pasteur, qui met en exergue le manque saisissant de garde-fou laissant aux chercheurs la porte ouverte sur les comportements les plus excessifs en matière de ce que l’on est bien forcé d’appeler du « pillage génétique »…

 

 

Conclusion

 

Alors certes, ce n’est pas renversant d’originalité. Certes, on peut reprocher à Graine d’Immortel un style et un rythme convenus. Les mauvaises langues avanceront volontiers que rien de nouveau ne brille sous le ciel de l’Inde [surtout lorsqu’un Dan SIMMONS est passé par là. cf : Le chant de Kali…]. Pourtant, le roman, court, dense, et prenant, remplit parfaitement ses objectifs de départ : divertissement, action, aventures, dépaysement, réflexion… On le referme satisfait et rassuré : BORDAGE épanouit ses talents dans les registres les plus diverses, et il n’a pas fini de nous surprendre… 



13/05/2013
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