La-Cave-aux-Mots

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Jean-Philippe JAWORSKI - Gagner la guerre

 

« Celui qui est cause qu’un autre devient puissant se ruine lui-même. »

Machiavel.

 

 

Bon. Ben il fallait bien le lire, celui-là… Déjà que Janua Verra avait tapé dans l’œil des petits cafards que nous sommes. Et puis la chronique de K2R2, et puis le Prix des Imaginales pour ce premier roman. Zut. Pour un écrivain français, ça commençait à faire beaucoup. Adonc, j’achète le gros pavé de sept cent pages un kilo tout rond, je prépare ma spallière et ma pertuisane, et je plonge.

 

Poc ! Premier choc. La langue. Tout à fait délectable. Ma queue d’esthète littéraire amouraché des jolis mots et des belles tournures de phrases en frétille d’allégresse. Un registre de langue soutenu, donc, mais jamais ampoulé, avec des phrases élongées mais jamais amphigouriques. Un champ lexical maritime et guerrier maîtrisé. Et puis des emprunts à l’ancien français, et puis un bon nombre d’italianismes… Tout cela pour faciliter l’immersion du lecteur dans un univers insolemment réaliste et tout imprégné de la période Renaissance italienne. On s’attendrait presque à rencontrer, au détour des sombres corridors de la Maison Ducatore, les grandes figures de cette époque : un Pétrarque, un Michel-Ange, un dénommé Machiavel… Et Ciudalia, ne serais-ce pas l’image déchirée d’une lointaine Florence ? Passons. JP JAWORSKI est professeur es lettres. Ceci explique peut-être la richesse de son style et légitime assurément les quelques clins d’œil savoureux à ses pères dont il ponctue son roman. La richesse de son style ? A vrai dire, non. Puisque dans Gagner la Guerre, tout le mérite revient au narrateur de l’histoire, l’ignoble et redoutable Don Benvenuto (dont le sourire ressemble un peu à celui de Pat, vous l’aurez remarqué…), sicaire et spadassin de métier au verbe aussi fleuri que le maniement de ses dagues est mortel. Et là, d’entrée de jeu, le lecteur de tiquer un peu… Parce que pour une canaille ayant été élevée dans les bas quartiers de sa cité avant d’embrasser une carrière de soudard, le bougre écrit diablement bien… D’ailleurs c’est amusant, car il possède un souci du détail qui confine à l’obsession. Son oeil de peintre, certainement. En tout cas, ses descriptions évoquent, par leur méticulosité, leur justesse, leur poésie, et parfois leur longueur, celles plus lointaines d’un HUGO, voire – soyons fous – d’un GAUTIER (cf. : les dix premières pages du Capitaine Fracasse). Conséquence : la prose de Gagner la guerre n’est pas sans nous servir quelques quartiers assez drolatiques, où notre sicaire en pleine action, tout affairé à un déploiement de passes d’armes dans un sanglant duel où il joue sa vie, extirpe la tête du cliquetis des lames pour se perdre subitement dans la contemplation miraculeuse de la toiture particulièrement ouvragée de telle rotonde, ou s’ébaubir devant la trame si puissamment émaillée des meneaux d’une fenêtre en pignon… Je caricature ? A peine. Des descriptions qui paraissent donc parfois trop envahissantes, et qui ralentissent le rythme de certaines scènes d’action, au détriment de la spontanéité.

 

Mais je suis bien mauvaise langue. Car exceptés ces menus détails, hormis l’errance un brin ennuyeuse de certains chapitres (je pense en particulier à « L’exil »), et en dépit d’une construction narrative parfois hésitante due à cette fichue narration à la première personne – focalisation interne qui restreint forcément le champ de vision…l’écrivain en a parfaitement conscience, d’ailleurs, et va même jusqu’à s’en amuser : Cf. : la réflexion de Don Benvenuto, le narrateur, à ce propos P434 –, Gagner la Guerre est incontestablement un roman de fantasy comme on voudrait en lire plus souvent, qui érige le genre sur un fort joli piédestal en lui conférant toutes ses lettres de noblesse.

 

Au milieu de la galerie de personnages bigarrés qui traversent le roman, trois figures prévalent et marquent durablement le lecteur : celle de Don Benvenuto tout d’abord, en assassin acariâtre et redoutable, opiniâtre mais fidèle, à la personnalité plus complexe que ce que sa belle gueule cassée veut bien laisser paraître, tueur prodigue et prodige dont les prouesses criminelles pérenniseront la légende. Celle ensuite, de Don Ducatore, en maître des jeux ayant fait ses classes chez Machiavel, qui ourdit sous cape intrigues impossibles et complots morbides pour briguer la suprématie du pouvoir, qui déplace un à un sur l’échiquier politique du vieux royaume son armée de pions jusqu’à une victoire anticipée avec un brio tout…machiavélique. Celle, pour finir, de Ciudalia, la cité rêvée, seule fidèle au cœur de notre narrateur, seule porteuse de secrètes promesses et de rassurants repères, capitale fascinante qui ensorcelle ses habitants en les soumettant au joug de sa beauté méditerranéenne, au piment de son cosmopolitisme, et au raffinement de sa vie culturelle.

 

Il y a de la magie, dans ce roman. De  la magie, avec de vrais magiciens. Il y a aussi des barbares. Et même des elfes. Et une princesse pimbêche autoglotte qu’on se ferait un plaisir d’abandonner à un distributeur de baffes automatiques. Il y a aussi de fortes thématiques qui supportent la trame complexe de l’intrigue : celle, pour ne citer qu’elle, de la relation maître / esclave caractérisant la relation de Don Benvenuto et du podestat Ducatore, relation peut-être héritée de la lointaine soumission du valet à son maître dans la comédie italienne… Allez savoir.  

 

 

En bref, tout concourt à faire de la lecture de Gagner la Guerre un moment d’immersion totale. La langue est savoureuse. Les dialogues, pétris d’une sournoise intelligence. L’intrigue ne ménage pas son lot de rebondissements. Notre narrateur est tout à fait exquis dans sa cruauté impavide, tout à fait cocasse dans ses répliques cinglantes. Et n’étaient quelques longueurs et la systématisation parfois envahissante des descriptions, notre voyage dans les contrées du Vieux Royaume friserait l’ourlet délicat du Paradis du Lecteur, bien loin de l’Enfer où éructent L. et M…. Bref, une fois Gagner la Guerre refermé, on ne peut s’empêcher de se dire que Messire JAWORSKI, avec ce premier roman, a placé la barre fichtrement haute… Et d’attendre la suite avec une impatience légitime…

 

 

 



15/05/2013
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