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Sam SAVAGE - Firmin autobiographie d'un grignoteur de livres



Premier roman de Sam Savage, Firmin Autobiographie d’un grignoteur de livres a bénéficié outre-atlantique d’un certain succès éditorial. Sur la quatrième de couverture, Allessandro Baricco site l’improbable rencontre de Borges et de Walt Disney en guise de référence. Un sujet original, une révérence affichée au monde de la littérature : autant d’éléments qui incitent à revenir sur ce roman avec quelques mois de retard.

 

Firmin est le treizième rongeur d’une portée ayant vu le jour dans les sous-sols poussiéreux d’une librairie de Scollay Square à Boston, dans les années 1960. Malingre, chétif, la tête surdimensionnée, il fait montre dès sa naissance d’un appétit insatiable pour la lecture. En parfait biblio-boulimique, il dévore au sens propre comme figuré Dickens, Hemingway, Proust, Stendhal et se rêve en Oliver Twist ou en Julien Sorel. La librairie se révèle un vaste territoire à explorer. Perché dans des planques sûres, parcourant des galeries creusées par d’illustres ancêtres galopants, il observe l’agitation des hommes à ses pieds et nourrit l’espoir un peu fou de nouer avec Shine Norman, le propriétaire des lieux, une amitié pérenne. A la nuit tombée, il se risque dans les ruelles sombres du quartier pour aller squatter le « Rialto », un cinéma ouvert 24H sur 24, qui accueille la faune locale et diffuse, passée minuit, des films pornographiques. Firmin a beau être érudit, comme tout le monde, il a ses petites faiblesses. Et les « mignonnes » dénudées se trémoussant sur grand écran consistent à ses yeux un plaisir aussi légitime que ses séances de lectures. Peu à peu, la solitude referme pourtant son emprise sur lui. Et si les livres demeurent les meilleurs vecteurs de son évasion et les plus solides remparts à son isolement, Firmin se lasse de cette nourriture immatérielle, et désire ardemment établir avec les humains des liens autres que ceux, virtuels, tissés par son imaginaire. Le pauvre Firmin va déchanter. Car au regard du monde des hommes, Firmin reste un rat. Un nuisible répugnant dont il faut se débarrasser. Déçu, blessé, en bout de course, le grignoteur de livres va pourtant faire une rencontre qui va changer sa vie : celle de Jerry Magoon. Vieil écrivain dépenaillé, la soixantaine grisonnante, auteur de Science-Fiction.

 

Le sujet, la couverture et la quatrième de couverture pouvaient laisser présager d’un roman joyeux, émaillé de passages cocasses ou drolatiques, de tendresse mêlée de naïveté. Il n’en est rien. L’animalisation du narrateur n’est pas exploitée ici pour orienter le roman sur la piste d’un gentil conte moderne à tendance ludique. Firmin s’ancre douloureusement dans le réel. Son contexte y est pour beaucoup : la librairie où Firmin voit le jour est située dans le quartier de Scollay Square, à Boston, et l’action se déroule dans les années 1960, époque de grands travaux d’urbanisme. L’univers de Firmin est simplement voué à la destruction. Le décor est sordide, voire insalubre. La pauvreté encrasse les rues. Les bâtiments suintent l’humidité. Les commerces aux devantures branlantes et les immeubles aux façades décrépies sont désertés. Il pleut souvent. Il fait presque tout le temps nuit. On a froid… Ce décor impose au roman une atmosphère nocturne et sale, à la fois déprimante et nostalgique. Et le narrateur, loin de sortir tout sourire d’un film bariolé de Walt Disney comme le suggère la quatrième de couv’, traîne plus volontiers ses guêtres comme il traîne sa solitude : en se noyant le jour dans l’océan des mots, en se perdant la nuit dans les films du « Rialto », Firmin ne tend que vers un seul but : oublier sa condition de rebut de la société.

 

Heureusement, le roman réserve tout de même quelques pages amusantes. Lorsque Firmin s’essaye au langage des signes pour tenter de communiquer avec de jeunes passants, ses résultats catastrophiques prêtent à sourire. L’amitié qui le lie à Jerry Magoon – un auteur de SF sur le retour, asocial, fier d’une liberté acquise au prix d’un désoeuvrement existentielle – recèle quelques joyeux moments. De même les remarques acerbes, cyniques mais pleines de bon sens que Firmin adresse à l’espèce humaine ne peuvent qu’amuser car elles visent juste. C’est ce trait de caractère rondement croqué par l’auteur, ce sens cinglant de l’ironie, ces espoirs désabusés doublés paradoxalement d’un amour en l’homme qui nous rend le personnage de Firmin si attachant. Néanmoins, la tonalité générale du roman reste à la nostalgie. Sous les pérégrinations du petit rongeur, l’auteur a instillé une part évidente de vécu, d’éléments autobiographiques que l’on retrouve aussi bien au niveau de ce rapport passionnel à la lecture qu’à celui du contexte qui renvoie à une période sombre de l’histoire de Scollay Square.

 

Les dessins au fusain en noir et blanc de Fernando Krahn sont là pour en témoigner.

 

Sous le regard un brin dépressif d’un petit rongeur intello lubrique, Sam Savage brosse le tableau en noir et blanc de la vie d’un quartier de Boston voué à l’éradication. Il ressuscite des lieux, des odeurs, et des personnages attachants pour nous rappeler que seule la littérature préserve les existences de l’oubli. Déclaration d’amour au monde des lettres, le roman, enrobé d’une traduction léchée, distille une touche de nostalgie sans être larmoyant et cultive la malice à défaut du rire. Un premier roman attendrissant qui déçoit par son manque d’ambitions, mais convainc par son ton juste. A découvrir.



15/05/2013
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