La-Cave-aux-Mots

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Gilles LEROY - Zola Jackson


Août 2005. A près de quarante années d’intervalle de l’ouragan Betsy, la Nouvelle Orléans est de nouveau frappée par la fureur des vents : Katrina ravage le détroit du Mississipi. Zola Jackson, institutrice à la retraite, refuse d’abandonner sa maison pour suivre la migration d’une population locale aux abois. Calfeutrée chez elle avec sa chienne Lady, elle compte bien, comme par le passé, vaincre les éléments. Tandis que le vent décapite les bâtiments alentours, alors qu’inéluctablement, l’eau emplit son intérieur, Zola Jackson se raccroche à son passé comme à une bouée : elle repense à Aaron, son mari, qui a bâti de ses mains la maison ; elle repense à son fils Caryl, enfant surdoué, fierté de sa mère, dont l’intelligence le promettait à un avenir plein d’estime ; elle repense à Troy, son petit ami, qu’elle a toujours détesté d’une acrimonie souveraine; à Nina, aussi, sa nièce, qui venait souvent lui rendre visite pour combler ses jours de solitude… C’est avec l’évocation de ses figures chères que Zola affronte la tempête. Car bientôt, les digues encadrant la Nouvelle Orléans et protégeant ses zones peuplées cèdent les unes à la suite des autres. Et les flots impétueux se répandent, submergeant les rues, engloutissant habitations comme habitants, emportant dans leur sillage les agrégats mortels de la ville pulvérisée : lampadaires, parpaings, vitres, poutres, voitures, arbres, toitures... Zola, impuissante, assiste à la perte progressive de ses possessions, et chaque heure se transforme dès lors en combat pour la survie. Elle se réfugie dans sa chambre, au premier étage, tandis que les eaux croupies envahissent son rez-de-chaussée. Sous ses fenêtres, les courants boueux et nauséabonds charrient des cadavres au visage gonflé. Les cris des survivants réfugiés sur les toits des bâtiments implorent l’aide d’un gouvernement absent, la miséricorde d’un Dieu sourd. Mais la Nouvelle Orléans semble oubliée de tous, et, à l’instar de Zola Jackson, elle doit subir Katrina seule, livrée à elle-même, sans espérer compter sur une quelconque aide extérieure.

 

Dans ce court roman de cent cinquante pages, Gilles Leroy se glisse dans la peau d’une noire américaine opiniâtre, revêche, et en brosse un portrait intime d’une profonde justesse. Loin d’opter pour un angle qui mettrait en avant le catastrophisme de la situation, il préfère user d’une narration autocentrée sur son personnage principal, éclairant, par le biais d’un travail introspectif, sa vie, son passé, ses déboires, ses espoirs et ses échecs, ses doutes et ses failles, tissant en filigrane le tableau de la communauté noire de la Nouvelle Orléans dans une Amérique des années 70. Les évènements, rapportés sans soucis de linéarité, ponctués d’ellipses, de retours en arrière, s’assemblent au fil d’un récit en sursauts à l’image de cette ville extérieure qui se désagrège sous la fureur des éléments. Figure essentielle du passé de Zola, celle de son fils, Caryl, surdoué, homosexuel assumé, chéri d’un amour inconditionnel, souvenir salutaire qui hante la mémoire maternelle avec la constance des bourrasques du vent. Zola se souvient de son combat contre la maladie. Elle fait la somme des souffrances de son existence et ne peut qu’en vouloir un peu plus à ce Dieu haut perché qui semble lorgner les hommes d’un regard dédaigneux. Tout cela est porté par une prose pleine de piment et de verve, une langue savoureuse, âpre et vivace : c’est la voix de la narratrice que reçoit le lecteur, le récit étant écrit à la première personne. Zola avait tout pour devenir écrivain, comme le lui avait toujours répété son fils et son mari, et le témoignage qu’elle nous rapporte de cette épreuve, le travail sur la mémoire qu’elle opère, en deviennent la preuve formelle et belle. Le roman de Leroy n’est cependant pas exempt de défaut. Si le parti-pris narratif d’opter pour un point de vu interne qui cantonne le champ de vision à l’unique optique de la narratrice, Zola, permet de brosser de ce personnage romanesque un portrait d’une émouvante authenticité, si l’on comprend bien que l’évocation de ses souvenirs et de son passé reste la seule garante de sa survie, ce traitement autocentré occulte en contrepartie l’action extérieure : les ravages de Katrina ne sont évoqués qu’avec parcimonie, en arrière-plan, au travers d’une lorgnette par trop étriquée, et ils n’acquièrent pas l’ampleur, la dimension qu’ils auraient peut-être mérités. Plus intérieur qu’extérieur, plus rétrospectif que descriptif, ce parti-pris narratif, s’il convainc par sa justesse, laisse un peu le lecteur baroudeur sur sa faim.



22/05/2013
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