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Stefan WUL - La peur géante


Bruno Daix est un brillant ingénieur. Il travaille sous la houlette de Driss Bouira pour la firme Nivôse qui commercialise des congélateurs. Il vit à In Salah, capitale du Sahara, deuxième ville de l’Afrance, vaste continent devenu l’une des premières puissances mondiales. Nous sommes en 2157. Et l’humanité se porte au mieux. Tout le monde est bien habillé. Tout le monde est heureux. Il fait beau. Jusqu’au jour où l’on découvre qu’on ne peut plus produire de glaçons. Et oui. Car l’eau ne se change plus en glace à partir de zéro degrés Celsius. Il faut descendre bien plus bas… Caprice inexplicable de la nature, ineptie soudaine de la physique qui précipite cependant le monde dans une appréhension croissante. Bientôt, la glace des pôles se met à fondre sans raison. La masse d’eau accumulée se mue en un raz-de-marée haut de plusieurs dizaines de mètres et la vague dévastatrice lancée à plusieurs centaines de kilomètres heure submerge le monde, emportant sous son mur liquide les symboles reluisants de la civilisation humaine. Mère nature n’est pas responsable du cataclysme. Les survivants, dont Bruno Daix fait évidemment partie, découvrent rapidement qu’une race sous-marine intelligente, arborant la morphologie sélacienne de raies, est tapie sous l’océan depuis des éons, et qu’elle possède la faculté de contrôler l’eau. Belliqueux, les Torpèdes – comme les nomment les humains – s’avèrent les seuls responsables de l’extinction d’une bonne partie de l’humanité. Dès lors, la résistance s’organise. Dans cette guerre opposant deux civilisations, Bruno Daix va jouer un rôle déterminant, épaulé par son ami Pol Nazaire et une jeune chinoise aux charmes multiples : Kou-Sien.

Difficile, au vu du pitch, de ne pas penser au scénario du fameux film de James Cameron : Abyss, survenu trois décennies plus tard. Le court roman de Wul, écrit en 1957, part d’un postulat original : et si la menace d’une race intelligente conquérante ne provenait pas de l’espace, mais…des profondeurs inconnues de nos océans ? Idée convaincante, qui résume en réalité le seul intérêt de lecture. Car pour le reste, le roman a terriblement vieilli. Mais pas comme certains bons vins, dont la robe déploie toute les délicates nuances de sa saveur avec l’âge. Non. Plutôt comme une bouteille d’Orangina ouverte et frelatée depuis trop longtemps. Des personnages en carton pâte, aussi inconsistants que stéréotypés : le héros principal, bel ingénieur musclé et viril, ancien champion de « polyparcours » (comprenez de natation), blond (on dirait Ken) qui finit, en milieu d’histoire par appartenir à l’armée secrète, et qui, dans un flamboyant happy-end, participe activement à sauver le monde de sa destruction programmée. Un personnage féminin toujours autant en retrait (une constante dans la plupart des romans de l’écrivain), toujours aussi superficielle et insipide, qui ne passe que pour le faire-valoir du héros, sorte de figure imposée par les convenances du genre. L’absolue légèreté du background, de l’arrière-plan : l’Afrance est riche. Plus de misère. Les gens sont heureux. La science est venue à bout de la plupart des problèmes inhérents à la condition humaine : la famine, la soif, la pauvreté sont relégués au stade de mauvais souvenirs… Outrecuidance d’optimisme à replacer dans le contexte d’écriture : la fin des années 50 est riche en espérances. La modernité attractive devient une forme de religion. Les russes envoient Spoutnik dans l’espace en…1957 et dans la foulée, la chienne Laïka. La course aux étoiles est lancée. Le matérialisme envahit peu à peu les foyers, avec l’émancipation progressive de tout un tas de verrous sociaux. Pourtant, sur cette même période, Stefan Wul – Pierre Pairault de son vrai patronyme – a composé des romans à la tonalité bien plus sombre ou dérangeante : « Retour à 0 », « Niourk »… « La peur géante », mis en comparaison, accuse encore moins ses faiblesses intrinsèques, et, excepté cette fameuse idée de départ réjouissante, n’incitera à la lecture que les indulgents de nature ou les nostalgiques. Il y a bien cette fameuse scène du raz-de-marée auquel assistent, aux premières loges mais impuissants, nos protagonistes parqués en hauteur dans un hélitaxi (P41-47). Il y a bien cette description d’une cité de tropèdes découverte par Bruno Daix dans les abysses de l’océan (P149-152), vision hallucinée, tentative de décrire l’indescriptible qui n’est pas sans rappeler la mise en images stroboscopique de la descente de la capsule de Bowman sur Jupiter dans un fameux « 2001 : l’odyssée de l’espace » de Kubrick. Mais au-delà de ces quelques scènes, la mémoire enregistre surtout des associations de termes baroques et malheureuses estampillées SF : « ponts en plastique », « survêtement climatisé », immeubles évoquant des « falaises de polystyrène », qui aujourd’hui prêtent cordialement à sourire. Et ce n’est évidemment pas la psychologie des personnages – inexistante – qui viendra rattraper le tout…

Bref. « La Peur Géante » s’annonce clairement comme un roman alimentaire de l’auteur que l’on oubliera bien vite pour retourner avec plus d’enthousiasme à d’autres fondamentaux autrement stimulants signés de sa main : « Niourk », « Oms en série », « Le temple du passé »…



22/05/2013
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