La-Cave-aux-Mots

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Ketil BJORNSTAD - La société des jeunes pianistes


Fin des années 60. En Norvège. A Oslo. Aksel Vinding est un adolescent issu d’une famille de mélomanes qui a hérité de la fibre musicale et compte embrasser une carrière de pianiste concertiste. Mais si les vocations sont nombreuses, les places le sont beaucoup moins, et parmi le petit groupe d’étudiants musiciens auquel le jeune Aksel appartient, l’amitié se heurte à la pression et à l’élitisme ambiant. Malmené dans sa vie familiale, avec un père maladroit cumulant les échecs professionnels et une sœur aînée distante, Aksel décide d’interrompre sa scolarité pour se livrer tout entier à sa passion. La pratique du piano devient son unique échappatoire et la musique, le refuge secret de ses craintes et de ses doutes, mais aussi de ses amours tus. Adolescent torturé et ténébreux, tourmenté, souffrant de la disparition tragique de sa mère dans un accident de noyade, il se fixe pour objectif de remporter l’un des nombreux grands concours qui lui ouvrira les portes des salles les plus prestigieuses et assurera sa reconnaissance. Autour de lui, Anja Skoog, Rebecca Frost, Margrethe Irene, Ferdinand, tous de jeunes virtuoses promis à un bel avenir. Réunis autour de leur amour de la musique, et en dépit de la rivalité qui les oppose, ils se fréquentent au quotidien et vont former ensemble « La société des jeunes pianistes » pour se soutenir dans le parcours semé d’embûches de leur carrière débutante.

 

Roman qui ne manque pas d’inclure en son sein quelques rémanences à propension autobiographique – Ketil Bjornstad a suivi un parcours musical similaire à celui des personnages qu’il met en scène : il a remporté, à l’âge de quatorze ans, le Grand concours des jeunes pianistes d’Oslo et affiche la double casquette d’écrivain et de musicien – « La société des jeunes pianistes » se révèle un roman à la texture toute particulière, comme tissée dans la trame de la mélancolie. Les pages, distillant un mal-être existentiel abrasif, cultive une tonalité mineure semblable à un lieder de Malher – ses « Kindertotenlieder » –  sertie de nuances grisâtres qui ne peuvent qu’évoquer les stries nuageuses d’un ciel d’hiver norvégien. Car la vie d’Aksel n’est pas heureuse. Le premier chapitre, résolument tragique, ouvre sur la disparition de sa mère, emportée par les courants tumultueux d’une rivière. Et le roman se déploie à l’ombre pesante de la mort et du deuil. Pourtant, la souffrance intériorisée du jeune pianiste n’est jamais affirmée. C’est là la réussite de ce roman : diluer cette souffrance et ce malaise dans le climat général du texte sans jamais l’établir en tant que tel. Ici, pas de longues descriptions consacrées à la pratique instrumentale. Le pragmatisme laisse place au ressenti, à l’émotion, aux sentiments avant tout. L’auteur met plus volontiers l’accent sur la vie sociale et amoureuse de son personnage central : ses relations amicales, ses aventures, ses premières expériences, sa passion dévorante pour Anja Skoog, jeune et chétive pianiste surdouée oppressée par la figure d’un père tyrannique, et nous brosse le témoignage d’un passage à l’âge adulte. Roman initiatique parcouru par l’ivresse de la passion (amoureuse ou musicale) et de la douleur, roman sur l’ingratitude de la compétition et de l’élitisme musicale ayant cours dans les hautes sphères, « La société des jeunes pianistes » est hanté par une galerie de personnages féminins, ces femmes qui construisent l’homme que sera Aksel : Anja Skoog, évidemment, icône inaccessible, fantasme diaphane et évanescent définitivement rattaché à l’adolescence ; mais aussi sa mère Marianne, mystérieuse et introvertie ; et encore Selma Lynge, professeur de piano renommée et exigeante ; ou bien même Cathrine, la sœur jalouse et incomprise – terrible scène du premier concert public du jeune pianiste : Cathrine, la sœur, totalement ivre, ovationne son frère avant que ce dernier n’est achevé son morceau, coupant court à son interprétation et anéantissant toute chance de succès (P128-134)… D’échecs en expériences malheureuses, Aksel continue pourtant de s’accrocher à ses rêves. A mesure qu’il se forge une identité musicale, c’est avant tout les oripeaux de la jeunesse qu’il laisse derrière lui pour se glisser douloureusement dans l’âge adulte. Crépusculaire, zébré de névroses et de non-dits, « La société des jeunes pianistes » fait palpiter dans ses méandres émotionnels une tristesse larvée qui dispense au lecteur une nostalgie contagieuse. Un premier roman à saluer.



22/05/2013
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