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Alberto MANGUEL - La bibliothèque la nuit

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Alberto MANGUEL est un écrivain et traducteur argentin qui s'illustre principalement par la qualité de ses nombreux essais. Marchant sur les traces de ces grands hommes de lettres pétris d'érudition (Umberto ECO, Jorge Luis BORGES...), il consacre l'essentiel de son écriture à l'étude de thématiques englobant la littérature dans son acception la plus large. Illustration de cet intérêt : Une histoire de la lecture, félicité en 1998 par le prix Medicis essai. La bibliothèque, la nuit lui fait suite et découvre, sous l'impulsion d'une curiosité et d'une rigueur inchangées, la notion de "bibliothèque".

 

 

 Difficile, à la lecture de cet essai, de ne pas penser à l'éminent Jorge Luis BORGES, l'auteur argentin, figure incontournable de la littérature du XXème siècle. Il se trouve qu'Alberto MANGUEL dans sa jeunesse a eu le privilège d'être le lecteur attitré de BORGES atteint de cécité au mitan de sa vie. Les deux hommes se partagent une passion identique pour la littérature, et leurs analyses comme leurs réflexions restent toujours gages d'originalité et d'acuité.

 

La bibliothèque, la nuit. Le titre de l'ouvrage nous oriente déjà sur la nature de son contenu : il possède ce caractère mystérieux, ce charme nébuleusement poétique qui délaisse d'emblée la définition un peu roide de "Bibliothèque" pour l'ouvrir à un territoire plus personnel, plus subjectif, et donc plus attrayant. C'est ce que nous confirme l'écrivain dans son avant propos : son approche se veut davantage sensible, intuitive, loin d'un conformisme académique. Il traitera du concept de "bibliothèque" en élargissant le champ de réflexion. Sa préoccupation principale : tenter de comprendre la raison pour laquelle les hommes, en dépit du chaos qui préside à leur univers, poursuivent opiniâtrement leur travail de classification et de sauvegarde de leurs écrits.

 

Pour ce faire, l'essai se décline en quinze chapitres où la bibliothèque, à la manière d'un prisme, dévoile ses innombrables facettes. La bibliothèque est un objet de mythologie : dans le chapitre "Un mythe", Alberto MANGUEL revient aux origines de l'archivage des connaissances en citant la tour de Babel et la bibliothèque d'Alexandrie, incontournables points de référence historiques. La bibliothèque est aussi le lieu du prestige : prestige de son organisation formelle (dans le chapitre "Un espace" : le paradoxe d'une bibliothèque étant qu'elle doit contenir dans un espace fini une expansion infinie de collections), prestige de son architecture (dans le chapitre "Une forme" : le travail splendide de Michel ANGE au XVIème siècle pour la construction de la bibliothèque laurentienne de Florence). Il se permet même, par quelques détours de raisonnement retors, de considérer la bibliothèque comme objet de fiction : dans le chapitre "L'imagination", il rend un hommage appuyé à son père spirituel, BORGES, en nous découvrant ces exemples de bibliothèques au corpus imaginaire, fruits d'une pure invention de l'esprit de quelques auteurs malicieux ou collectionneurs excentriques. La bibliothèque se révèle aussi le reflet du contexte (environnement et époque) dans laquelle elle s'ancre, comme en témoignent les chapitres "Une ombre", "La survie", "L'oubli", qui nous rappellent qu'au fil des siècles, les bibliothèques ont contenu malgré elles les sombres pages de la grande Histoire. La bibliothèque, c'est enfin et surtout l'espace de l'intelligence : dans ses modalités de classement (le chapitre "Un ordre") comme dans sa conceptualisation (le chapitre "Une intelligence"), elle renvoie intrinsèquement à l'expérience humaine, et donc à sa réalité objective. En cela, la notion manguelienne de "bibliothèque" dépasse largement les limites de son étymologie primitive pour embrasser une signification plus vaste : elle matérialise la somme des pensées humaines et induit donc une forme de conscience collective de l'espèce. S'y exprime empirement un magma de vérités authentiques que d'hypothétiques lecteurs aguerris – dans les éons à venir – parviendront peut-être à déchiffrer afin de percer les secrets de leur condition.

 

Poétique, Alberto MANGUEL ?

 

 

Tous les chapitres ne se valent pas. Mais dans l'ensemble, La bibliothèque, la nuit reste un essai intellectuellement stimulant, écrit avec ferveur par un collectionneur chevronné qui se double d'un écrivain à l'érudition indéfectible. Les références bibliographiques ne manquent pas ; un index bienvenu nous est proposé en fin d'ouvrage ; de nombreuses photos en noir et blanc émaillent le texte ; l'originalité de l'approche d'Alberto MANGUEL nous permet d'aborder des réflexions qui touchent à bien des domaines périphériques au livre... En bref, un ouvrage digne d'intérêt à mettre entre les mains de tout bibliophile qui se respecte.



14/05/2014
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