La-Cave-aux-Mots

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Matt HAIG - Humains

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Andrew Martin, imminent mathématicien américain, est sur le point de résoudre une équation qui risque de changer la face du monde. Mais les extraterrestres guettent. L’un d’eux est dépêché sur Terre pour prendre sa place et procéder à un nettoyage en bonne et due forme afin que ses recherches n’aboutissent pas. Par le truchement de son regard, la nouvelle version d’Andrew Martin nous offre une vision à la fois naïve et incisive de cette étrange espèce que l’on appelle les « humains ».

 

Récit à la première personne d’un étranger parachuté en terre inconnue, « Humains » dévoile au gré de ses 280 pages le charme attrayant de l’objet littéraire non identifié, pétri d’originalité. Coulé dans la peau du mathématicien en passe de faire faire à l’humanité un prodigieux bond en avant, notre extraterrestre en vadrouille va devoir se plier à des us, coutumes, codes et éthiques à des années lumières de celles qui sont les siennes. Son atterrissage forcée sur une route de banlieue – chapitre ouvrant le roman – fixe la tonalité de son épopée : entre cocasserie croustillante et absurdité facétieuse. Car le malheureux doit repartir de zéro. S’approprier notre langage, comprendre que cracher sur son prochain n’est pas synonyme de courtoisie, que se balader nu à travers les rues l’expose à un séjour au commissariat… En plus d'être confondant de naïveté, notre narrateur possède le sens de la formule et cultive le don de croquer les travers de nos petites habitudes avec une acuité corrosive… Bon gré mal gré, il poursuit sa mission : faire disparaître toutes traces des travaux d’Andrew MARTIN. Le sort de l'univers en dépend, ce qui n'est pas rien. Il mène donc une enquête pointilleuse, élimine (physiquement) les suspects, efface les preuves compromettantes. Et le reste du temps, il assume son rôle de père de famille : marié à Isobel, historienne de 41 ans, et père en dilettante de Gulliver, quinze ans, qui traverse les turbulences sismiques de la crise d’adolescence. Tout devrait se dérouler au mieux, son excursion sur Terre ne devant pas durer plus de quelques jours. Mais il y a évidemment un hic : l’usurpateur venu de l'espace commence à s’attacher à sa nouvelle existence passagère. L’espèce humaine a beau macérer dans un archaïsme primaire et croupir dans les prémices de son évolution, elle n’en possède pas moins ses charmes. Scène réussie où la nouvelle version d’Andrew MARTIN découvre le magnétisme de la musique classique, ou encore la complicité quasi extralucide qui le lie à son chien Newton. Petite jubilation égoïste lorsqu'il expérimente pour la première fois la nature des sentiments, qu'il éprouve attirance et amour, ou qu'il creuse peu à peu la relation d'un père à un fils trop longtemps délaissé. L’écrivain vise juste et bien. On sent une bonne dose de vécu sous la couche fictionnelle qui, en dehors du cadre fantastique dans laquelle elle s’inscrit, détricote et décortique habilement les liens affectifs qui font de l’humanité une espèce foutraque, pleine de paradoxes, mais cruellement attachante. Par le truchement d’un regard foncièrement vierge – car étranger –, Matt HAIG fait état du décalage permanent dont nous sommes tributaires et qui nous fait osciller entre l’être et le paraître. Il interroge – l'air de rien – notre vie en société, et condamne en filigrane l'uniformisation de nos pratiques (culturelles, politiques, esthétiques, sexuelles...), notre vision égotiste et autocentrée du monde, tout en dénonçant les travers d'un matérialisme forcené auquel l'être humain succombe sans vergogne. C'est un peu simple, mais souvent juste. Il distille au gré de quelques paragraphes superbement tournés une petite ode à la poésie et aux nombres premiers, nous démontrant que l'une comme les autres ne sont pas incompatibles et possèdent les vertus de la même beauté insaisissable. Et puis au-delà de l'artifice littéraire se dévoilent quelques cicatrices intimes que porte l'auteur : le regret de n'avoir pas su (ou pu) assumer son rôle de père et/ou de mari. Car il ne fait aucun doute que cet "Humains" recèle un net penchant autobiographique sous la facétie audacieuse et dévergondée de sa mise en forme. Intérêt du lecteur aguerri : tenter de dénouer le fil du vécu et de l'imaginé.

 

 

En se plaçant dans la peau d'un extraterrestre ayant pris provisoirement la place d'un terrien, Matt HAIG nous offre un tour d'horizon en trois dimensions de la vie sur la planète Terre. Il balaye d'un oeil acerbe, sensible et drolatique toutes les petites absurdités de la condition humaine, ces travers et paradoxes dans lesquels l'humanité s'empêtre et qui pourtant forgent tout le piment et le charme de sa nature. Sous la facétie de l'artifice, l'écrivain taquine des vérités centrales qui ne manquent pas d'interroger. Regorgeant de paragraphes rondement troussés, d'un sens de la formule qui fait mouche, d'aphorismes d'une lucidité aussi grinçante que jubilatoire, "Humains" est un roman intelligent et maîtrisé qui cultive l’absurde pour mieux dévoiler le réel. Un joli coup de cœur.

 


21/10/2014
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Fabien CLAVEL - Métro Z

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Collaboration fructueuse entre Fabien CLAVEL et son éditeur Rageot dans la collection « Thriller » : après deux romans ayant remporté leur petit succès (Décollage Immédiat et Nuit blanche au lycée qui mettaient en scène la jeune Lana BLOOM, pétulante et opiniâtre enquêtrice), Métro Z débarque en troisième place. Fabien CLAVEL délaisse ici le côté enquête de ses deux précédents romans pour exploiter une thématique ayant le vent en poupe : celle du survival-zombie.

 

 

Emma est une jeune adolescente qui vit à Paris. Elle s’occupe de son petit frère, Natan, atteint d’autisme. Leur relation est difficile : elle jalouse cet enfant qui monopolise toute l’attention de ses parents et avec lequel il est impossible de communiquer. Un après-midi, les deux enfants prennent le métro pour rentrer chez eux. Mais ils n’arriveront jamais à destination : plusieurs bombes explosent à différentes stations, jetant un vent de mort sur une foule aux aboies. Emma et Natan sont séparés dans la cohue. C’est pour eux le début d’un long calvaire souterrain…

 

Ambiance claustrophobe pour un thriller oppressant, Métro Z exploite judicieusement les ficelles de la thématique Zombie en offrant au lecteur 200 pages d’un huis-clos crépusculaire. Dans l’obscurité forcée des rames confinées du métro (cadre classique de la thématique Zombie), Emma va dans un premier temps devoir retrouver son frère. Elle va rapidement se rendre compte que les bombes n’ont pas occasionné que des dégâts matériels : elles ont transformé les usagers des transports en armée de Zombies… La légitimation du fantastique est simple – pour ne pas dire simpliste – : le gaz Sarin employé par les terroristes aurait pour conséquence de péricliter la conscience de ses victimes. Emma et Natan ne doivent leur salut qu’à un médicament contre le mal des transports qui contiendrait une molécule à même de les immuniser contre les effets débilitant du gaz. Pour le reste, la narration est formellement balisée. Fabien CLAVEL enchaîne les scènes chocs, très visuelles bien sûr, inspirées d’une filmographie plus que conséquente. Le jeune lecteur ne manquera pas de frissonner à plus d’une reprise… Le dédale labyrinthique du métro souterrain de la capitale, plongé dans une obscurité totale, s’avère le cadre idéal pour accueillir une armée de morts vivants lancés aux trousses de jeunes enfants innocents. Dans sa fuite, Emma rencontrera d’autres personnages épargnés par les effets du gaz : la graffeuse C-Byl, dégourdie et audacieuse, qui deviendra rapidement une amie, et Méléard, jeune cadre acariâtre et égoïste qui ne pense qu’à sauver sa peau quel qu’en soit le prix. Lana BLOOM – l’héroïne des deux précédents romans de Fabien CLAVEL – fait même son apparition, assurant une certaine continuité pour les fans. En filigrane de cette lutte pour la survie, Fabien CLAVEL esquisse la relation d’une sœur à son frère autiste. Il établit une filiation – peut-être hasardeuse – entre l’autisme et les zombies : tous deux vivants littéralement en dehors du monde, sans tissu relationnel avec leurs prochains. Par ce biais, Métro Z soulève la question d’une maladie peu connue, de ses répercutions sur une cellule familiale, et plus exactement sur une grande sœur qui doit la vivre au quotidien. On pourra regretter que cette seconde thématique, garante de l’épaisseur des protagonistes, ne soit pas davantage développée.

 

 

Habile révérence tirée à un genre confortablement installé dans le paysage des littératures de l’imaginaire, Métro Z – troisième roman de Fabien CLAVEL dans la collection Rageot Thriller – s’avère un huis-clos crépusculaire sans temps morts qui distille avec aisance une angoisse aussi sournoise qu’oppressante. Il y est évidemment question de survie, mais aussi de la relation difficile entre une sœur (Emma) et son frère autiste (Natan). Un thriller honnête qui ne révolutionnera certainement pas la tradition mais se charge de lui rendre un bel hommage. 


21/10/2014
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Christophe LAMBERT et Sam VANSTEEN - Virus 57

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Lors d’une partie de pêche organisée par son richissime oncle écrivain sur les côtes californiennes, Walle Dillon, âgé de 15 ans, décède brutalement des suites d’une grippe fulgurante. Le reste de l’équipage, contaminé dans la foulée, subit le même sort. Walle se révèle la première victime d’un virus aussi foudroyant que contagieux qui a la spécificité de se déclencher au-dessus d’une température de 45 degrés. Tommy Bannister, responsable de l’antenne du CDC (Center of Diseases Control), mène l’enquête.

 

Christophe Lambert et Sam VanSteen signe leur deuxième collaboration dans la collection Soon après La fille de mes rêves. Au programme de ce Virus 57 : un thriller calibré au millimètre, qui réserve son lot de rebondissements, de courses poursuites, et de personnages charismatiques. Les ramifications de l’intrigue sont nombreuses et tissent la trame d’une enquête solide qu’il est difficile de lâcher. Le rythme est haletant, l’enjeu du récit n’étant ni plus ni moins que de stopper la propagation d’un virus risquant de signer la fin de l’espèce humaine. Les deux écrivains ne lésinent pas sur les scènes chocs : les descriptions de l’agonie des premières victimes contaminées (des adolescents de quinze ans) ne font pas dans la dentelle et possèdent de délicieux relents d’un fléau de Stephen King. Les personnages principaux sont nombreux. Il y a Sia, une jeune adolescente élevée par un couple homosexuel. Elle échappe aux autorités, entraînée par Virgil, un jeune pirate informatique à tendance paranoïaque et ardent défenseur de la théorie du complot. Tous deux sont des porteurs du virus qui s’ignorent, et leur fuite à travers les Etats-Unis donne l’occasion d’une longue traque qui constitue la colonne vertébrale du roman. Sur leurs talons, un enquêteur de haut vol : Tommy BANNISTER, le responsable du CDC, nain opiniâtre qui ne vit que pour son boulot. Hans PERRY, flic à la retraite et détective privé à ses heures perdues, se lance quant à lui sur les traces de Gary ZABOLY, le mystérieux géniteur des 57 ados contaminés, tous issus d’une procréation par insémination artificielle. Les deux intrigues se développent conjointement (construction habile) : BANNISTER à la poursuite des deux ados en cavale, et PERRY à la recherche du donneur, porteur originel du virus : le débusquer, c’est avoir une chance de développer un antidote…

 

Virus 57 est un thriller qui remplit parfaitement son office. Il ne déroge pas aux codes du genre qu’il exploite avec une certaine prodigalité : course-poursuite, prise d’otages, enquête menée sur les chapeaux de roue, flics ripoux, interrogatoire musclé, confrontation avec des mafieux sadiques, tension latente… La structure du récit est parfaitement maîtrisée et élabore une intrigue à deux niveaux qui tient en haleine le lecteur jusqu’au point final.

 

On pourra – à la limite – regretter l’exploitation de quelques ficelles faciles : impossible de ne pas s’imaginer dans la peau de Tommy BANNISTER – le nain responsable de la cellule CDC – l’acteur Peter DINKLAGE qui incarne à l’écran Tyrion LANISTER (noter la paronymie des patronymes), l’un des personnages principaux de la saga du trône de fer. La délocalisation de l’intrigue aux Etats-Unis, si elle encre le roman dans un contexte propice au genre, peut en contrepartie rendre le cadre de l’action un brin artificiel. De même, les deux écrivains surfent sur la vague d’un sujet d’actualité, puisqu’en toile de fond des deux enquêtes se pose la question de l’homosexualité et de son impact, de son ressenti sur les enfants vivant l’homoparentalité au quotidien.

 

Mais ce serait pinailler pour peu de chose, car in fine, Virus 57 possède tous les ingrédients du thriller addictif et bien emballé. Solide, intelligent, haletant et maîtrisé, il réservera à ses lecteurs quatre cent pages de lecture sous pression.


21/10/2014
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Bruno LONCHAMPT - Bloc de haine

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Marseille, de nos jours. Alex, 25 ans, purge une peine de sept ans d’emprisonnement pour homicide. Dévoré par la haine, il passe ses journées à s’acharner sur les haltères.

 

Un roman percutant à plus d’un titre. Un style fluide et poétique, accrocheur et accessible, au service d’un personnage principal, Alex, qui cristallise les failles d’une certaine frange de la jeunesse. Alex a tout pour être heureux : une petite amie dont il est amoureux, une bande de copains fidèles, un travail… Mais il est aussi un adolescent tourmenté, marqué par des traumatismes qu’il n’a pas réussi à évacuer… La haine qu’il contient depuis trop longtemps finit par éclater un jour, le conduisant à l’acte fatidique. Cette haine, il l’exprime au travers d’un rejet de l’autre : le racisme (sujet d’actualité s’il en est).

 

C’est avec une certaine habileté que Bruno Lonchampt décortique les différentes étapes et mécaniques du processus qui, irrémédiablement, vont faire glisser le jeune Alex du statut d’ado sans problème à celui de criminel : le terreau familial (famille nombreuse, père autoritaire), le conditionnement social (violences subies, embrigadement…). La construction narrative est maligne et fait mouche : elle alterne deux temporalités : le présent, qui met en scène Alex encourant sa peine à la Centrale d’arrêt d’Arles (au passage, une description éloquente de l’univers carcéral, de son implacable cruauté), et le passé, morcelé, qui se dévoile à la manière d’une mosaïque pour retourner à l’origine du drame dont tout est issu. Derrière cette construction, la mise à nue d’une personnalité, celle d’Alex, et la pose de cette question épineuse : comment expliquer le racisme ? Sans avoir la prétention d’y répondre, le roman est intelligent en ce sens qu’il jette sur cette thématique l’éclairage non pas d’une victime, mais d’un coupable. Parti pris audacieux dont l’auteur s’acquitte haut la main sans jamais sombrer dans la complaisance. Il constate objectivement. Il interroge. Dans tous les cas, la lecture de « Bloc de Haine » ne laissera aucun lecteur indifférent.


18/10/2014
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Tim WILLOCKS - Bad City Blues

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Tim WILLOCKS, écrivain britannique, psychiatre de formation, a débuté sa carrière littéraire en oeuvrant dans le roman noir, crasseux et glauque, avant de prendre la tangente du roman historique aux prétentions plus épiques (dernièrement : le triptyque consacré au personnage de Mattias TANHAUSER dont il a signé les deux premiers volumes :  La religion / Les douze enfants de Paris).

Bad City Blues est son premier roman.

 

 

La Louisiane. De nos jours. Callilou Carter – dite Callie – est une ancienne prostituée et cocaïnomane, mariée à Cleveland Carter, révérend de la paroisse locale et vice-président de la Mercantile Trust Bank. Avec l'appui de Luther Grimes, ancien vétéran du Vietnam et truand de grande envergure, elle commet le casse du siècle en braquant la banque de son mari. Au total : un million de dollars à se partager. Mais la belle a d'autres projets en tête... Pour doubler son complice, elle séduit son frère, Eugene Cicero Grimes, psychiatre idéaliste et déjanté. Les deux frères ne se sont pas vus depuis une éternité et nourrissent l'un envers l'autre une haine viscérale. Lorsque Clarence Seymour Jefferson, flic corrompu jusqu'à la moelle, a vent de l'affaire, il décide de se lancer à leur poursuite. Autant dire que son but n'a rien d'altruiste et que rendre la justice est bien le cadet de ses soucis : il compte lui aussi mettre la main sur le pactole.

 

Avec ce premier roman, Tim WILLOCKS signe un roman noir âpre, incisif et hystérique. Il taille dans sa prose au vitriol des personnages bourrés de testostérone, des mâles dominants, de vrais durs à cuir doublés de salauds pathologiques qui relèvent quasiment de la stature mythologique. Luther Grimes en fait partie. Ancien vétéran du Vietnam, il a officié dans la 101ème aéroportée. De retour de la guerre, il s'est fait une place de choix dans le trafic de stupéfiants. Dans le milieu, on le surnomme, "Dum-Dum", en référence aux balles à fort effet de pénétration qui font des ravages dans les rangs vietcong. Profil aquilin. Nez d'aigle. Longue queue de cheval. Il est rodé aux maniement des armes : tuer est son métier. Il entretient avec Callie sa complice une liaison sulfureuse, et nourrit des espoirs de se ranger à l'issu de leur casse. Son frère, Eugene, est un psychiatre qui prend en charge des patients triés sur le volet : cocaïnomanes, héroïnomanes, désaxés en tout genre... La lie de la société. Il aurait pu faire fortune dans sa profession mais a préféré opter pour un mode de vie rangé, privilégiant la solitude et la discrétion. Il occupe une ancienne caserne de pompier dans un quartier malfamé. Un homme au regard gris, aux nerfs d'acier, au corps musclé par la pratique du karaté. Lorsque Callie vient frapper à sa porte à l'issu du braquage, elle a replongé dans la cocaïne. Il la prend en charge, et, sans se douter une seule seconde qu'elle est complice d'un braquage commis par son propre frère, succombe à son charme. Le personnage de Jefferson, le flic pourri et sadique, appartient lui aussi au registre des personnages mythiques : un véritable taureau avec son corps de plus de cent vingt kilos soumis à un entraînement de musculation quotidien. Imperturbable, d'une résistance physique à toute épreuve, froidement calculateur, doté d'une intelligence au-dessus de la moyenne, il est passé expert dans la torture psychologique, ce dont il ne manquera pas d'user au cours de son équipée...

 

Le talent de WILLOCKS, dans ce premier roman, est de creuser en profondeur la psyché de ses personnages. Son passif de psychiatre n'y est évidemment pas pour rien... On sent, à l'origine de l'épaisseur des protagonistes, une bonne dose d'expérience injectée dans la fiction romanesque. Il n'y a ni gentils ni méchants dans Bad City Blues. Le manichéisme n'est pas de mise. Le mal est partout, il contamine tous les personnages. Les deux frères, ennemis jurés, ont un lourd passif à leur actif, et incontestablement des comptes à régler. Si Luther est un tueur dénué de scrupule, Eugene possède lui aussi sa part d'ombre. Jefferson, le flic corrompu, n'agit pas non plus gratuitement. Un passé conditionne sa conduite et explicite sa violence, sa rage contenue, sa perversité. Le talent de WILLOCKS est de découvrir peu à peu, au gré de l'intrigue, les causes profondes, les traumatismes enfouis qui ont marqué ces personnages et légitime aujourd'hui leur démence. Une démence toujours latente, que le lecteur côtoie avec une assiduité dangereuse, comme un funambule en équilibre sur son fil. Bad City Blues est évidemment violent. Violent parce qu'il plonge allègrement dans la noirceur de l'âme humaine et s'y baigne avec une jouissance toujours malsaine. WILLOCKS décortique le comportement de ses personnages avec la précision d'un entomologiste. Et ce qu'il nous donne à voir n'est pas spécialement réjouissant. Violent, Bad City Blues l'est aussi dans ses scènes d'action et de sexe explicites, envoyées dans les mirettes du lecteur avec une force de frappe quasi cinématographique. Ça défouraille, ça torture et ça baise. C'est plein de sueur, de sang et de stupre. Ça colle aux doigts parce que c'est poisseux. Et ça ne vous laissera certainement pas indifférent.

 

 

Si Bad City Blues devait être un geste, ce serait celui d'un coup de poing. Pour un premier roman, Tim WILLOCKS nous l'assène sévèrement. Il démontre un talent certain à camper des personnages d'envergure XXL, des brutes épaisses, des sadiques névrosés qui ne sont pas sans se coltiner leur cortège de démons. Du début à la fin, le roman macère tout entier dans la poisse d'un climat de tension physique, sexuelle et psychologique qui lui confère une aura vénéneuse, foncièrement malsaine, délicieusement oppressante. Bad City Blues ou le creuset de la perversité : c'est là ce qui fait tout son charme.


14/05/2014
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