La-Cave-aux-Mots

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Fred PARONUZZI - Là où je vais


 

Après avoir enseigné le français en Ecosse, en Slovaquie, puis au Canada, Fred Paronuzzi retourne en Savoie, sa terre natale, où, depuis plusieurs années maintenant, il est professeur d’anglais dans un lycée professionnel. Jeune auteur discret et peu prolixe, adepte de la concision au service de la justesse, il a déjà à son actif cinq romans jeunesse ainsi qu’un recueil de nouvelles. Là où je vais est publié cette année chez l’éditeur Thierry Magnier.

 

 

Court roman de quatre-vingt pages, Là où je vais exploite un cadre bien connu de l’écrivain puisqu’il campe son action dans un lycée qu’on devine facilement fréquenté par Fred Paronuzzi le professeur. Tirer la substance littéraire de son expérience. Parler en connaissance de cause de ce qu’on a vécu. Le roman est une belle illustration de cet adage qui inspire la démarche créatrice de nombre d’auteurs. Fred Paronuzzi nous invite donc à croiser le chemin de quatre jeunes adolescents se trouvant à un carrefour de leur existence. Il y a Léa, secrètement amoureuse de Julie. Il y a Océane, victime traumatisée d’une soirée ayant mal tourné. Il y a Clément, qui vient de perdre sa grande sœur avec laquelle il partageait un lien affectif tenant de l’indéfectible. Et enfin, Ilyes, passionné de théâtre, élève intelligent et curieux issu d’une famille d’immigrés. Quatre narrateurs pour quatre voix différentes, chacune porteuse d’un passé, d’un regard sur la vie, d’un lot d’émotions, de secrets, de traumatismes et d’aspirations. Quatre courtes trajectoires qui se déploient dans le temps resserré d’une heure de cours – 3300 secondes, pas une de plus –  en se croisant parfois pour brosser la brève mosaïque d’un instantané de vie. Si la concision est ici le maître mot et que le style est à la sobriété, il est bien difficile de ne pas succomber à la justesse imparable dont fait preuve l’écrivain pour cerner ces quatre adolescents. Le récit de Léa est celui d’une révélation : celle de son homosexualité enfin assumée, celle d’un amour enfin proclamé et partagé. Sous la plume vive de l’écrivain, la passion palpite, sensible, contagieuse. Celui d’Ilyes, qu’on imagine facilement inspiré du passé de l’auteur, aborde intelligemment la notion d’insertion sociale / scolaire : élève prometteur mais solitaire, Ilyes se révèle par la pratique du théâtre, en se mêlant à d’autres élèves, en apprenant à les côtoyer et à les connaître. Au-delà d’une rencontre, c’est un avenir qui se dessine. Les deux temps forts de ce très court roman sont sans conteste les voix d’Océane et de Clément. La première est celle d’une adolescente discrète, figure fragile qui peine à trouver sa place, et qui, par souci de « faire comme les autres », participe à une soirée organisée par l’une de ses amies. Alcool, musique, festivités…jusqu’au dérapage fatidique… La seconde est celle de Clément placé trop jeune face à la disparition tragique d’un être cher. Il porte tout le poids du deuil de sa grande sœur. Invisible aux yeux de ses parents inconsolables, il souffre aussi d’une forme de culpabilité insidieuse : il aurait dû partir à la place de sa grande sœur. J’ai repensé à deux personnages tirés de l’œuvre de Stephen KING, et qui s’inscrivent dans un contexte similaire : Bill le Bègue dans Ça, et Gordy, dans la nouvelle Le Corps… Elève introverti dévoré par une douleur sourde et contenue, Clément se trouve à cette étape décisive de la vie où la manifestation  d’une main tendue, d’une aide extérieure, peut tout changer. Ce que le lycée lui apportera peut-être… 

 

Il est intéressant de s’arrêter sur la relation que l’écrivain établit entre le cadre scolaire et les destinées erratiques de ces quatre élèves. Loin d’un univers froidement rigide et dépersonnalisé, le lycée se révèle l’espace des rencontres et des croisements, des intersections arbitraires, d’un labyrinthe où la vie s’épanouit. Le corps enseignant arbore ici un visage profondément humain : par l’entremise de quelques figures tutélaires (le conseiller d’orientation ; Douja, la proviseur adjointe…) il se dévoile comme le réceptacle des douleurs de cette zone interstitielle qu’est l’adolescence et où vont se nicher bien des questionnements, bien des aléas, bien des expériences sur lesquelles on peine parfois à mettre un mot. En brossant les portraits authentiques de quatre adolescents que l’existence n’épargne pas, Fred Paronuzzi rapproche son lecteur d’une sorte de vérité universelle que tout un chacun a déjà pu approcher de près ou de loin. 

 

Quatre récits cruellement réalistes, parfois durs, parfois âpres, mais qui distillent uniment une émotion palpable. Quatre voix concomitantes qui se font écho pour esquisser dans l’espace d’une narration étique la cartographie de l’adolescence plurielle et de son cortège de non-dits.

Pour lecteurs de tout âge.  



03/07/2013
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