La-Cave-aux-Mots

Premier roman d'un écrivain anglais à la vie déjà bien remplie (il est né à Liverpool dans une famille nombreuse, est passé par la case centre de détention, a pratiqué toutes sortes de métiers allant de scaphandrier à cuisinier en passant par employé d'une compagnie de ferry), « Pour toi je décrocherai la lune » a été publié en Angleterre en 2010, et se voit traduit en France cette année chez Seuil. Il a été couronné du « Booktrust teenage book ».

Bob, 12 ans, et Marie-Claire, 10 ans, vivent dans une ferme de Winnipeg, au Canada, élevés par leur père depuis le décès de leur mère. Une profonde complicité les lient l'un à l'autre. Si Bob est d'une nature réservée et fragile, sa jeune saeur, surnommée affectueusement « le Rat », est un véritable ouragan d'énergie et d'intelligence. A ses côtés, impossible de s'ennuyer... Leur vie s'écoule paisiblement entre le collège, les amis, et sous le regard bienveillant d'un père aimant et toujours attentif. Aussi, lorsque ce dernier disparaît brutalement, les deux enfants décident de ne pas en informer les autorités, craignant de se voir placer dans un foyer d'accueil et d'être séparés. Aidés de quelques amis, ils improvisent une inhumation dans le jardin de la ferme familiale puis enfourchent leur vélo pour rejoindre New York où un hypothétique oncle, prétendument trafiquant de drogue, serait susceptible de les recueillir. Un long périple les attend, plein de surprises mais aussi d'incertitudes, jalonné de rencontres aussi belles qu'improbables, et il faudra toute l'intrépidité du « Rat » pour le conduire à son terme...

Dès les premières pages, on comprend les raisons pour lesquelles ce premier roman a été accueilli avec autant d'enthousiasme à sa sortie. L'auteur se glisse dans la peau de Bob, le frère de Marie-Claire, dite « Le Rat ». Un récit à la première personne qui met à nue la force de l'amour filial et la tendresse miraculeuse qui unit ces deux êtres pourtant durement frappés par le sort... Le style - immédiatement accrocheur par sa simplicité et son naturel - est donc celui d'un jeune garçon de douze ans en proie aux préoccupations, aux doutes, et aux interrogations qu'impliquent son âge et sa situation. Lancés sur les routes, Bob se sent responsable de sa saeur. Par amour pour elle, il serait prêt à tout. Car en dépit de son physique chétif de petit rongeur et de son caractère bien trempé qui met parfois en pelote les nerfs de son aîné, « Le Rat » agit comme un aimant sur son entourage et, conjointement, sur le lecteur : impossible de ne pas succomber à sa vivacité, à sa clairvoyance (dans tous les sens du termes...), à sa pugnacité, à son bagout, à sa débrouillardise, à son exubérance sans tempérance, à l'acuité de son esprit et à la précocité de son intelligence que viennent seulement tempérer une naïveté toute enfantine et d'inquiétantes crises de tétanie... « Le Rat » incarne sans conteste le personnage central d'une galerie de portraits qui ne sont pourtant pas en reste et elle vaut à elle-seule la lecture. Dès lors, suivre les pérégrinations de ce tandem de choc tient du réel plaisir. Après avoir traversé le Canada, les deux enfants gagnent les Etats-Unis et atteignent la ville de New-York où ils se mêlent aux communautés des quartiers les plus malfamés. Ils dorment à la belle étoile, dans Central Park, alpaguent les gens du métro et du Bronx pour tenter de localiser leur oncle introuvable sur lequel reposent tous leurs espoirs... Rien de vraiment réaliste dans la suite romanesque de rencontres qui leurs permettent de progresser dans leur quête personnelle : les démunis et les malfrats de tout bord finissent par fondre devant la truculence du « Rat », offrant leurs services sans rien attendre en retour. Des amitiés solides se tissent : celle de Joey, jeune homme d'une vingtaine d'années qui vit dans une caravane et se livre à quelques trafics un peu louches ; celle de Tommy, l'Italien d'une cinquantaine d'années, bien amoché par la vie, qui arpente, claudiquant, les boulevards de Broadway en arnaqueur de première ; celle d'Ice, la star du rap au très grand caeur... Les situations se révèlent souvent rocambolesques. Et c'est tant mieux ! Car par un habile tour littéraire qui consacre le charme de son roman, l'écrivain parvient à confondre ces fausses vraisemblances pour en tirer un climat poétique tout particulier, entre truculence et gravité, entre insouciance et profondeur, entre légèreté et sensibilité : une oscillation d'humeur qui apporte à ce road-trip en culottes courtes des allures de conte moderne et convie le lecteur à un voyage un peu magique. Pour couronner le tout, la fin en demi-teinte détourne sciemment les balises du genre pour mieux soulever une émotion pourtant déjà bien présente...
Malin et réussi.

Premier essai marqué et marquant de la part d'un écrivain dont il faudra suivre avec attention la suite de la carrière, « Pour toi je décrocherai la lune » se pose comme un véritable bol d'air frais littéraire. Road-trip pour enfants seuls sur fond de conte moderne gorgé d'humour et de tendresse, il réconciliera les lecteurs de tout âge par la justesse de son ton. Le personnage de Marie-Claire, « Le Rat », fait d'ores et déjà partie des figures inoubliables de la littérature jeunesse.
A découvrir.