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Jérôme NOIREZ - Le chemin des ombres

 

 

Joli tir groupé pour la rentrée littéraire. En un intervalle de deux mois à peine, Jérôme NOIREZ gratifie ses fans de deux romans publiés pour la jeunesse : le premier, L’empire invisible déboulé chez Gulfstream au mois de septembre, et tout fraîchement le Chemin des ombres, au centre de notre intérêt ici, édité au mois d’octobre par Mango dans la collection « Royaumes perdus » placée sous la houlette du très grand Xavier Mauméjean qu’il n’est plus besoin de présenter. Titre fortement évocateur qui augure d’une tonalité pour le moins crépusculaire, le Chemin des ombres est l’occasion pour l’écrivain de renouer avec la mythologie japonaise et la tradition Shinto qu’il s’était fait un malin plaisir d’explorer au travers de son premier roman chez Gulfstream : le très fortement recommandable et recommandé Fleurs de Dragon. La publication de ces deux romans ne se voyant séparée que de quelques mois, le lecteur était en droit de craindre une certaine redondance par le cadre et le sujet conjointement traités. Mais Mr NOIREZ est décidément très fort. Et définitivement inspiré…

           

 

Nous sommes au cœur du Japon des premiers âges. Dans le petit village de Nichu, le clan Isanami poursuit sa paisible existence sous la protection de sa jeune chef religieuse Amaterasu. Pourtant, derrière cette apparente quiétude, l’histoire de la communauté n’est pas sans cacher une sanglante tragédie : les parents de la jeune princesse ont disparu dans des conditions que toutes les mémoires s’efforcent d’oublier, et Susanowo, le frère cadet d’Amaterasu, consumé par la haine, s’est fait exiler dans la forêt sans espoir de revoir ses semblables. Le drame frappe de nouveau la petite communauté après qu’Amaterasu ait reçu la visite officielle d’un mystérieux ambassadeur venu des lointaines contrées du Kinai, qui propose à la jeune chef religieuse de venir se ranger sous l’égide d’Himiko, la grande princesse au royaume sans cesse grandissant. Désireuse de conserver l’autonomie de son village, Amaterasu refuse la proposition. Mais Himiko, avide de conquêtes, ne compte pas l’entendre de cette oreille. Usant de ses pouvoirs maléfiques pour invoquer des légions de Kamis, elle va tout entreprendre pour avoir raison de la résolution d’Amaterasu. Poursuivis par les démons les plus féroces, assaillis par la tragédie d’un passé dont ils ne veulent pas se souvenir mais qui les rattrape de manière inéluctable, Amaterasu et Susanowo, le frère et la sœur que tout oppose, ne vont avoir d’autres choix que d’unir leurs forces et leur volonté pour sauver leur village. Et leur vie.

 

Et l’on retrouve, là encore, un Jérôme NOIREZ au zénith de son inspiration, qui nous gratifie d’un roman haut en couleurs, tout vibrant de poésie et de sensibilité. Profitant du registre d’une fantasy nipponne fortement teintée de merveilleux, le lecteur se régale à suivre les pérégrinations torturées de ce couple frère / sœur d’abord fracturé par la haine, puis peu à peu, et par la force des évènements, soudé par une fraternité redécouverte. Délaissant le cadre fixe qui caractérisait l’action de son précédent roman (L’Empire Invisible), Jérôme NOIREZ nous convie ici à un voyage parsemé de paysages et de rencontres inoubliables où la surprise le dispute à l’émerveillement. Les lieux visités se succèdent au même rythme que les créatures fantastiques jaillies de l’orée d’un sous-bois où du rideau d’une cataracte d’argent. Le merveilleux que cultive ici l’auteur – paradoxalement si vrai car si sensible et si juste – abolit les frontières du réel pour redéfinir les normes d’un possible incroyablement cohérent, et qui rappelle en ce sens – par la force d’impact et d’invocation des images et des associations qui le caractérisent, mais aussi, par cette plume si fluide et si délectable qu’on connaît désormais à l’auteur – l’atmosphère fractale se posant comme l’essence profonde des Leçons d’un Monde Fluctuant. Et nous, pauvres hères hagards et égarés, les sens soufflés par ce tourbillon d’émotions et d’impossible véracité, de nous laisser couler tout entier, avec extase, avec délice, avec peur et frissons, dans cette puissante ode à l’imagination. Cependant, pour nos héros, tout n’est pas que lumière : la route sinueuse qu’ils empruntent s’enfonce un peu plus, à chacun de leurs pas dans les étouffantes ténèbres… Car au terme de ce Chemin des ombres, il y a la mémoire, les souvenirs enterrés, le visage tant redouté de la vérité et des morts qu’on ne veut plus évoquer, mais qui pourtant, se rappellent à nous douloureusement, insidieusement. Attendrissante analyse de la relation conflictuelle frère / soeur, Le Chemin des Ombres se révèle aussi une poignante illustration du travail parfois éprouvant de la mémoire. Et puis, si la poésie et le merveilleux demeurent omniprésents, l’action n’est pas en reste : la fin du roman, consacrée à l’attaque du petit village, sert au lecteur une franche tranche de combats épiques…


N’en jetez plus, la coupe est pleine ?

Pas encore.

 

Il reste à féliciter le travail de l’éditeur. S’inscrivant dans la démarche didactique des Editions Gulfstream, la collection Royaumes Perdues, destinée à de jeunes lecteurs, mais, vous l’aurez compris, pas que, étoffe son roman d’un appendice nous retraçant les arcanes de la mythologie shinto, qu’elle complète d’un lexique fourni exposant les différents noms des personnages du roman, et tous rattachés à des figures légendaires de la mythologie japonaise. Si l’on s’évade en prenant grand plaisir, ce n’est pas sans apprendre…

 

 

La mythologie japonaise et son intarissable cortège de démons, de figures légendaires, de mythes et de mystères semblent décidemment une source d’inspiration inépuisable pour Jérôme NOIREZ. Adoptant un angle résolument plus poétique que le traitement utilisé dans Fleurs de Dragon auquel Le Chemin des Ombres se rapproche par le cadre de son action et quelques réminiscences que je laisserai au lecteur le loisir de découvrir, d’une tonalité beaucoup plus ténébreuse et d’autant plus mise en valeur que le roman n’est pas sans ménager quelques passages de toute beauté empreints d’une poésie qu’on ne pourrait qualifier plus justement que par le qualificatif extatique (Ah… Cette scène de la cascade…) Le Chemin des ombres signe là encore une incontestable réussite de l’écrivain et ne donne qu’une envie : poursuivre l’exploration de son répertoire à venir, mais aussi, creuser le filon fantasy didactique offert par la collection « Royaumes perdus ». En somme que du bonheur. Et des fois, le bonheur, ça fait du bien.  



13/05/2013
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