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Tim WILLOCKS - Bad City Blues

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Tim WILLOCKS, écrivain britannique, psychiatre de formation, a débuté sa carrière littéraire en oeuvrant dans le roman noir, crasseux et glauque, avant de prendre la tangente du roman historique aux prétentions plus épiques (dernièrement : le triptyque consacré au personnage de Mattias TANHAUSER dont il a signé les deux premiers volumes :  La religion / Les douze enfants de Paris).

Bad City Blues est son premier roman.

 

 

La Louisiane. De nos jours. Callilou Carter – dite Callie – est une ancienne prostituée et cocaïnomane, mariée à Cleveland Carter, révérend de la paroisse locale et vice-président de la Mercantile Trust Bank. Avec l'appui de Luther Grimes, ancien vétéran du Vietnam et truand de grande envergure, elle commet le casse du siècle en braquant la banque de son mari. Au total : un million de dollars à se partager. Mais la belle a d'autres projets en tête... Pour doubler son complice, elle séduit son frère, Eugene Cicero Grimes, psychiatre idéaliste et déjanté. Les deux frères ne se sont pas vus depuis une éternité et nourrissent l'un envers l'autre une haine viscérale. Lorsque Clarence Seymour Jefferson, flic corrompu jusqu'à la moelle, a vent de l'affaire, il décide de se lancer à leur poursuite. Autant dire que son but n'a rien d'altruiste et que rendre la justice est bien le cadet de ses soucis : il compte lui aussi mettre la main sur le pactole.

 

Avec ce premier roman, Tim WILLOCKS signe un roman noir âpre, incisif et hystérique. Il taille dans sa prose au vitriol des personnages bourrés de testostérone, des mâles dominants, de vrais durs à cuir doublés de salauds pathologiques qui relèvent quasiment de la stature mythologique. Luther Grimes en fait partie. Ancien vétéran du Vietnam, il a officié dans la 101ème aéroportée. De retour de la guerre, il s'est fait une place de choix dans le trafic de stupéfiants. Dans le milieu, on le surnomme, "Dum-Dum", en référence aux balles à fort effet de pénétration qui font des ravages dans les rangs vietcong. Profil aquilin. Nez d'aigle. Longue queue de cheval. Il est rodé aux maniement des armes : tuer est son métier. Il entretient avec Callie sa complice une liaison sulfureuse, et nourrit des espoirs de se ranger à l'issu de leur casse. Son frère, Eugene, est un psychiatre qui prend en charge des patients triés sur le volet : cocaïnomanes, héroïnomanes, désaxés en tout genre... La lie de la société. Il aurait pu faire fortune dans sa profession mais a préféré opter pour un mode de vie rangé, privilégiant la solitude et la discrétion. Il occupe une ancienne caserne de pompier dans un quartier malfamé. Un homme au regard gris, aux nerfs d'acier, au corps musclé par la pratique du karaté. Lorsque Callie vient frapper à sa porte à l'issu du braquage, elle a replongé dans la cocaïne. Il la prend en charge, et, sans se douter une seule seconde qu'elle est complice d'un braquage commis par son propre frère, succombe à son charme. Le personnage de Jefferson, le flic pourri et sadique, appartient lui aussi au registre des personnages mythiques : un véritable taureau avec son corps de plus de cent vingt kilos soumis à un entraînement de musculation quotidien. Imperturbable, d'une résistance physique à toute épreuve, froidement calculateur, doté d'une intelligence au-dessus de la moyenne, il est passé expert dans la torture psychologique, ce dont il ne manquera pas d'user au cours de son équipée...

 

Le talent de WILLOCKS, dans ce premier roman, est de creuser en profondeur la psyché de ses personnages. Son passif de psychiatre n'y est évidemment pas pour rien... On sent, à l'origine de l'épaisseur des protagonistes, une bonne dose d'expérience injectée dans la fiction romanesque. Il n'y a ni gentils ni méchants dans Bad City Blues. Le manichéisme n'est pas de mise. Le mal est partout, il contamine tous les personnages. Les deux frères, ennemis jurés, ont un lourd passif à leur actif, et incontestablement des comptes à régler. Si Luther est un tueur dénué de scrupule, Eugene possède lui aussi sa part d'ombre. Jefferson, le flic corrompu, n'agit pas non plus gratuitement. Un passé conditionne sa conduite et explicite sa violence, sa rage contenue, sa perversité. Le talent de WILLOCKS est de découvrir peu à peu, au gré de l'intrigue, les causes profondes, les traumatismes enfouis qui ont marqué ces personnages et légitime aujourd'hui leur démence. Une démence toujours latente, que le lecteur côtoie avec une assiduité dangereuse, comme un funambule en équilibre sur son fil. Bad City Blues est évidemment violent. Violent parce qu'il plonge allègrement dans la noirceur de l'âme humaine et s'y baigne avec une jouissance toujours malsaine. WILLOCKS décortique le comportement de ses personnages avec la précision d'un entomologiste. Et ce qu'il nous donne à voir n'est pas spécialement réjouissant. Violent, Bad City Blues l'est aussi dans ses scènes d'action et de sexe explicites, envoyées dans les mirettes du lecteur avec une force de frappe quasi cinématographique. Ça défouraille, ça torture et ça baise. C'est plein de sueur, de sang et de stupre. Ça colle aux doigts parce que c'est poisseux. Et ça ne vous laissera certainement pas indifférent.

 

 

Si Bad City Blues devait être un geste, ce serait celui d'un coup de poing. Pour un premier roman, Tim WILLOCKS nous l'assène sévèrement. Il démontre un talent certain à camper des personnages d'envergure XXL, des brutes épaisses, des sadiques névrosés qui ne sont pas sans se coltiner leur cortège de démons. Du début à la fin, le roman macère tout entier dans la poisse d'un climat de tension physique, sexuelle et psychologique qui lui confère une aura vénéneuse, foncièrement malsaine, délicieusement oppressante. Bad City Blues ou le creuset de la perversité : c'est là ce qui fait tout son charme.



14/05/2014
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